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KOKOKREA AFRODIJAH «On ne s'invente pas Artiste, on le découvre» [05-06/2013]

Le nouvel Afrique (LNA) : Que veut dire Kokokrea Afrodijah ?
Kokokrea Afrodijah (KKA) : C'est une façon détournée peut-être mais en réalité Kokokrea Afrodijah veut tout simplement dire : "Koko créa africain instrument de Dieu".

LNA : Quel âge avez-vous et de quel pays d'Afrique venez-vous ?
KKA : Je suis né dans les belles années où il y avait une palette de personnes que j'admire encore aujourd'hui et qui sont irremplaçables. Des personnes comme Ghandi, Martin Luther King, Marlon Brando, Lumumba, Kennedy, Mohammed Ali, Jimi Hendrix, James Brown, Bob Marley et Fela Kuti etc. J'ai 48 ans.

LNA : Vous êtes styliste, styliste accessoiriste, créateur de concepts d'événements dans le show business. Dites-moi si j'en oublie… Personnalité très connue dans la mode en Belgique et dans le milieu de la nuit. Comment faites-vous pour concilier ces différents métiers artistiques ?
KKA : Je pense sincèrement que la base part du dessin…, car celui qui maîtrise le dessin, peut facilement accéder à d'autres disciplines artistiques comme la sculpture, le stylisme, la bande dessinée, le décor, la peinture etc. L'Art doit d'abord être dans les veines depuis l'enfance. On ne s'invente pas Artiste, on le découvre. L'Artiste est un poisson dans l'eau quand il est dans son environnement et entouré de ses semblables. N'oublions pas que la ville de Florence était un véritable nid de talentueux artistes où toutes les disciplines de la création se confondaient. Il y avait des grands peintres, sculpteurs, poètes, écrivains… De Michael Angelo à Léonard da Vinci… L'exemple de ces grands noms nous laisse un héritage fabuleux et inépuisable en tant que source d'inspiration. Il n'est donc pas facile pour moi de faire plusieurs choses à partir du moment où nous parlons de l’art.

LNA : Quel a été le parcours qui vous a amené à développer toutes vos facettes artistiques ?
KKA : Avant tout j'ai commencé, étant gosse, à être remarqué dans mon quartier par mes dessins. J'avais une soif de raconter des histoires en faisant des dessins de sable. Mes ami(e)s s’en souviennent encore aujourd'hui. Ensuite à 15 ans, les Éditions Arcades voulaient que je travaille pour eux en tant que dessinateur de BD mais mon père trouvait que j'étais trop jeune et que dessinateur de bandes dessinées n'était pas un métier. Je suis arrivé en Europe à l'âge de 7 ans et j’ai entamé des études dans des domaines qui, je dois bien l’avouer, n'étaient pas forcément de mon goût. C'est la rencontre de celui qui est devenu mon ami, Thomas, professeur d'art, qui fut déterminante pour ma direction artistique. Il a su, en voyant mes capacités, m'orienter vers une Académie des Beaux-Arts. Je me souviendrais toujours d'une de ses phrases : "Koko, choisis les domaines dans lesquels tu te sens le mieux". Alors j'ai choisi la sculpture et l'histoire de l'art. Le stylisme est venu ensuite quand Marie Paul Haart qui, à l'époque, travaillait dans les ateliers de Courrège me dirigea vers cette discipline en voyant mes œuvres.

LNA : Y-a-t-il de grands personnages dans la mode, l'art ou d'autres secteurs artistiques, ainsi que des évènements de la vie qui vous ont inspiré ?
KKA : Mes inspirations viennent du cosmos. J’ai souvent l'impression d'être en communication constante avec le ciel. Je me nourris d'art partout où je me trouve, que cela soit à Paris, à Londres ou à New-York. Un musée ou la seule observation de la nature humaine m'inspirent tout autant. La vie de certains artistes m’a beaucoup touché aussi. Basquiat, Frida Kahlo, Camille Claudel, Alberto Giacometti, Dali… pour ne citer que ceux-là. Dans la mode, j'ai aussi mes références et exemples. Jean-Claude Jitrois, JPG, Thierry Mugler, Giorgio Armani, Gianni Versace, Issey Miyake, Paco Rabanne, Coco Chanel, Karl Lagerfeld, Yves St Laurent, Alphadi et Ozwald Boateng.

LNA : A une certaine époque où le cuir n'était pas encore accepté dans la mode en Belgique, vous avez été le précurseur de son développement. Racontez-nous cette aventure et pourquoi cette attirance envers le cuir ?
KKA : Le cuir pour moi est une deuxième peau que l'on façonne à sa guise. Le styliste Jean-Claude Jitrois le travaille si bien. Je m'habille souvent de cuir à cause de mes tendances un peu rockeur (rire). Un jour en voulant voir le concours «Miss Black 96», je fis la connaissance de Kassange qui présentait sa première collection de cuir. Je lui ai proposé d'introduire un de mes modèles et il accepta. Étant donné la place vacante dans le milieu africain de l'époque, je proposai en plus une alliance et nous fîmes «Koko Kassange». Par la suite, chemin faisant, nous prîmes chacun une autre direction. J'ai dû créer "Kokokreations" à la demande d'un investisseur. Aujourd'hui, je touche à d'autres matières et je m'amuse à distraire le milieu de la nuit en organisant des soirées à thème comme "Borsalino And Ko, Funkology Party Freak, Double 0 Seven, la Fiesta (Del) Toro" etc.

LNA : Aujourd'hui, quel est le tissu qui vous inspire et pourquoi ?
KKA : Après une longue traversée, une de mes muses et modèles m'a redonné l'envie de me remettre sur les planches de la coupe. Pour le moment, j'ai une passion pour les perles, la dentelle et le tricot. Pourquoi le tricot ? C'est en hommage et en souvenir de ma défunte bien aimée mère. Je lui dois cela. Elle en a fabriqué jusqu'à la fin de sa vie aussi longtemps quelle pouvait utiliser ses deux mains. Ma Mère avait une forte personnalité et sa perte fut un grand bouleversement dans ma vie. Je lui dois mes talents artistiques.

LNA : Vous êtes aussi reconnu pour être un personnage atypique, mystique. Est-il vrai qu'il y a plusieurs façons de lire vos créations ou concepts artistiques suivant le degré d'ouverture de conscience de l'être qui y est confronté ?
KKA : Celui qui est conscient de sa réelle nature ne peut s'étonner !!! Nous sommes en réalité des lumières… Le corps n'est qu'une enveloppe qui finit en poussière mais notre âme vit une éternité. De la même nature que le vent, l'esprit, l'âme et la parole. Toutes ces choses sont invisibles mais vivantes… Pouvez-vous me donner la couleur du vent, de l'esprit, de l'âme et des mots ? C'est divin et chaque être humain a cette étincelle en lui. A l'intérieur de nous, nous sommes un monde. C'est cosmique et non comique (rire).

LNA : Pensez-vous que les créateurs africains sont reconnus à leur juste valeur dans les grandes capitales de la mode que sont Paris - Milan - New-York - Londres - Berlin et Sao-Paulo ?
KKA : Dans toutes ces grandes villes que vous venez de citer, une touche de la mode africaine est souvent représentée, mais il est aussi vrai que notre savoir faire est encore marginalisé. La société oublie souvent notre glorieux passé qui aujourd'hui est encore un sujet tabou. Je pense sincèrement que un ou des africains ont laissé l'une ou l'autre trace dans l'histoire de plusieurs nations. Le métissage sera le futur de notre monde de demain. "We are one". La mode fera sa part de démonstration universaliste… Les créateurs ont un rôle à jouer à ce niveau. L'art et la mode africaine sont une valeur sûre et ce ne sont pas les musées, les chercheurs encore moins les experts en art ou de la mode qui me contrediront à ce propos. On étudie ce phénomène encore aujourd'hui.

LNA : Le succès de la "Black Fashion Week" de Paris créée par Adama Paris, fait que du 15 au 17 mai 2013 aura lieu la première édition de ce salon à Montréal. Que pensez-vous de cette initiative ?
KKA : La Black Fashion Week est une grande avancée. Je dirais quelle est un aboutissement et une reconnaissance pour nous, les professionnels, au sein de cette industrie. Et aussi une excellente occasion pour tous ceux qui découvrent à peine la mode africaine de voir notre travail. Cela ne fait que commencer. Il y aura de plus en plus de nouveaux talents et des découvertes fabuleuses venant de l'Afrique. Le train est en marche et il n'est pas près de s'arrêter.

LNA : Vous qui êtes un atypique de la mode, pensez-vous que la mode africaine devrait suivre la tendance des collections internationales ou chercher à imposer sa propre culture tout en restant fashion, comme l'ont fait les Japonais Rei Kawakubo et Yohji Yamamoto dans les années 70-80 ?
KKA : la mode africaine est complexe. Elle n'est pas forcement obligée de suivre une tendance. Mais nous sommes tous conscients et d'accord que, pour entrer dans ce cercle, être commercial et exporter, il y a des règles à respecter. A force de s'ouvrir au monde, cette mode finira par se tailler une belle place sans passer par la copie d'un exemple ou une histoire qui n'est pas la sienne. Il y a dans la mode africaine une source d'inspiration aussi pour des grands créateurs confirmés. Je ne ferai pas l'exercice de les citer car ils sont nombreux. Cette mode africaine ne peut plus être voilée. Dans ce cas précis, je dis : cessons de lui faire porter un masque.

LNA : Dans les années 80, les Américaines et les Suédoises étaient les mannequins les plus en vue. Dans les années 90, c'étaient les filles de l'Est. Dans les années 2000, les Sud-Américaines avec les Brésiliennes. Depuis 2009, le mannequin chinois Ming Xin est le top asiatique en vogue. Aujourd'hui, elle gagne plus de 100.000 euros par mois. D'autres Chinoises suivent. Dans les 10 mannequins les mieux payées en 2012, il n'y a aucune africaine. La première, Gisèle Bunchen, la Brésilienne, a gagné 45M$. A quand la razzia d'un groupe de superbes africaines gagnant des millions d'euros par an ?
KKA : La razzia des mannequins black ne se fera que quand nos beautés auront inondé la planète et auront démontré par a + b à qui veut l’entendre qu'elles n'ont rien à prouver au marché de la mode occidentale ou d’autres… Les magazines Black se vendent de plus en plus. Le métissage a pris son envol pour l'éternité… Les conservateurs ont du mal à garder le cap. Aujourd'hui, les chasseurs de tête vont chercher des perles rares chez les Mongols alors qu'ils peuvent en trouver davantage en Afrique. Si des tops modèles comme Iman, Naomi Campbell et Tyson Beckford, Ozwald Boateng etc. ont séduit le public international en montrant qu’ils étaient aussi de parfaits Business men and women on ne peut pas dire qu'à ce stade, cela soit un privilège. Leurs parcours sur les cats walks, les produits cosmétiques, le cinéma, la publicité ont aussi contribué à changer l'image conservatrice de la mode. Elles et ils ont fait gagner beaucoup d'argent à toutes ces industries ainsi qu'a la haute couture et en ont gagné beaucoup. Le monde a changé. Nos différences aussi. Celui qui n'a pas compris cela n'est pas un clairvoyant, un visionnaire. Ce changement était écrit et aujourd'hui, il est devant nos yeux.

LNA : Pensez-vous que le poids de l'éducation familiale avec le rôle du père «patriarche», sa culture, les dictats de la société africaine, ainsi que son positionnement géopolitique dans le monde freine l'éclosion du mannequin africain ?
KKA : Le rôle du patriarche familial dans l'évolution d'un modèle est important certes. Mais il ne peut en aucun cas devenir un obstacle en lui faisant de l'ombre. Un modèle devient une étoile quand autour d'elle il y a une personne, le manager qui connait les ficelles de son métier et toute une équipe autour de lui travaillant pour sa réussite. Mais il faut aussi que le modèle soit assez intelligent pour comprendre son rôle et écouter sans être têtu. Ce travail est collectif bien que cela ne soit pas souvent mentionné. Les patriarches sont des piliers, gardiens de nos valeurs. Je pense que les deux peuvent bien coller. Que nos patriarches prennent conscience que leurs filles une fois modèles n'appartiennent à personne, eux compris. Les créateurs trouvent parfois des muses en elles, mais cela ne dure qu'un temps. Le rôle du patriarche doit aller dans le sens de l'évolution. Nous avons de beaux exemples. Les sœurs Williams, les Jackson, Beyoncé… Le visage de l'Afrique n'est plus celui d'autrefois. Nous sommes confrontés à un changement radical des mœurs. Les patriarches doivent jouer serré et être subtils. Une stratégie pour ne pas perdre ce combat. Il faut malheureusement composer avec ce qu'il y a sur le terrain au risque parfois même d'être dépassé par les événements.

LNA : Revenons à vous, Kokokrea Afrodijiah. Vous avez créé le concept d'un très grand évènement qui mettra en avant la culture africaine de par le monde. Des élus de la région bruxelloise regardent de très près votre dossier. Pouvez-vous en parler au journal «Le Nouvel Afrique» ?
KKA : Ce projet est un hommage à l'Afrique, à ses cultures, son folklore et son art. J'ai pensé qu'il était important de ne pas en faire une suite mais plutôt une source car, quoi que l'on fasse, on doit toujours retourner à sa source. La création de ce carnaval africain "Kokolokomoville" veut dire la Koko locomotive en folie qui parcourt le monde de ville en ville. Il s'agit d'un projet que je voudrais touristique pour la ville de Bruxelles, la capitale de l'Europe, en étant la vitrine idéale pour les peuples du monde comme ce fut le cas à l'exposition de 58. Je suis un mégalomane (rire). C'est aussi l'occasion de rassembler tous les pays africains avec leurs ambassades sur un carnaval où chaque peuple du monde… européen, asiatique, indien, montrera sa vision de l'Afrique. Mon inspiration vient des films péplum de Cecil B de Mille. Exemple, "Les dix Commandements", "La Reine de Saba", "Cléopâtre". A suivre donc, car le projet est colossal et immense. Il faudrait un Robert Hossein ou un Franco Dragone pour le mettre sur pied. Les wagons de cette locomotive n'ont pas de fin. J'aurai au moins eu le courage de le déposer.

LNA : Quel est le thème de votre prochaine collection ?

KKA : Le thème de ma prochaine collection est "RE-BORN". Une sorte de renaissance et de retour aux sources.

LNA : Vous êtes aimé et respecté de toutes celles et ceux qui vous connaissent. Alors Monsieur Kokokrea Afrodijah. êtes-vous né modeste, ou certaines leçons de la vie vous ont-elles permis de développer cette qualité ?

KKA : Je ne peux rien dire d'autre que Merci à celles et à ceux qui me trouvent agréable et me respectent.

CONTACT : facebook.com/kokokrea.afrodijah

Source : http://www.lenouvelafrique.net/pg.php?id_news=938