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Une mémoire au service de l’Histoire [03/2011]

Sur la façade de l'aéroport de Lubumbashi, on pourrait s'étonner, si longtemps après l'indépendance du Congo, d'y voir encore un Belge, un ancien administrateur de territoire honoré par une plaque commémorative. Le nom inscrit sur la plaque de bronze est celui de Jean Paelinck. Sa carrière qui l’a tout de même poussé jusqu'au poste de vice gouverneur général, fut un exemple d'humanisme et de modernisme. La conscience du devoir poussa cet homme remarquable en bien des points à gérer le territoire en vue d'y aménager dispensaires, routes, ponts ainsi que toutes les infrastructures nécessaires à l'établissement des outils essentiels au développement. C'est à Bruxelles, à Ganshoren plus précisément, que Le Nouvel Afrique a rencontré le fils de Jean Paelinck, le général Claude Paelinck. D'allure sympathique et bonhomme, l'homme se révèle être un orateur disert dès qu'il s'agit de traiter de sa plus grande passion : le Congo. La vie entière du général Paelinck a été influencée, voire diriger, par l'amour inconditionnel qu'il voue à ce pays. La pomme n'est pas tombée très loin de l'arbre et le père pourrait être fier de la destinée du fils. Sa carrière aussi est digne d’éloge. Nous vous livrons l'interview complète que cet homme étonnant a bien voulu nous offrir.

LNA : Le Congo et votre famille, c'est une histoire qui a commencé avec votre papa, si je ne me trompe ?

Général Paelinck : Oui, mon père a commencé comme administrateur territorial adjoint dans le Katanga, à la frontière avec l'Angola, pas loin de Kolwezi. Après son premier congé, il a eu sa mutation vers le Kassaï. D'abord comme administrateur adjoint puis comme administrateur principal du territoire de Kanda-Kanda. Après la deuxième guerre mondiale, il a très rapidement gravi les échelons : depuis commissaire de district à commissaire provincial, jusqu'au grade de gouverneur du Kassaï d'abord puis du Katanga où il est devenu vicegouverneur général.

LNA : En superficie que représentait le territoire de Kanda-Kanda ?

Général Paelinck : Ce territoire était un peu plus grand que la superficie de la Belgique. Il n'y avait pas de voies navigables mais bien des rivières impétueuses. Ce territoire était traversé par le chemin de fer du Katanga vers le bas Congo. À côté de ce chemin de fer, il y avait une route carrossable et la traversée des rivières devait se faire par bac. Il n'y avait pas encore de pont sauf les ponts métalliques du chemin de fer.

LNA : Votre père gérait aussi la justice lorsqu'il était administrateur. Comment cela se passait-il ?

Général Paelinck : En fait il gérait l'équivalent d'une cour d'appel par rapport au droit coutumier. En ce sens que dans les villages, c'étaient les chefs qui prononçaient la justice coutumière par rapport à un voleur, quelqu'un de violent, etc. Mais lorsque l'administrateur passait dans un village et qu'une personne avait été condamnée par droit coutumier ; en général il s'agissait de peines de travail ; elle pouvait faire appel auprès de l'administrateur. Cependant, il était effectivement le juge pour les délits plus graves tels que les meurtres ou les vols de grande envergure. Mais à la base, il y avait évidemment le droit coutumier, le droit des tribus, qui devait être respecté. La Belgique a pratiquement été le seul état colonisateur d'Afrique qui a respecté le droit coutumier, ou fait respecter, le droit coutumier alors que dans les colonies françaises, anglaises ou portugaises, il n'avait aucune existence.

LNA : Il devait donc y avoir une prison au cheflieu du territoire ?

Général Paelinck : Bien sûr, il y avait une prison au chef-lieu du territoire pour les gens qui avaient commis des délits importants. Ils y étaient gardés par des policiers et/ou des soldats et ils étaient astreints à faire certains travaux d'intérêt public. Cependant, à l'époque, réminiscence de l'état indépendant de Léopold II, les prisonniers étaient attachés par deux au moyen d'une chaîne et d'un collier, ce que mon père a supprimé. De même il a fait abolir la peine de la chicote ou la "Chimbo" en langue locale. Il ne supportait pas voir administrer cette peine à des gens au milieu de la place publique.

LNA : Comment les colons ont-ils perçu l'abolition du fouet et de la chicotte ?

Général Paelinck : Mon père a effectivement supprimé ce genre de punition dans le territoire qu'il gérait. Bien entendu, sa hiérarchie le lui a reproché parce qu'il prenait une mesure unilatérale pour son territoire. Cette mesure n'était donc pas appliquée dans les territoires voisins ni même dans le district ou la province. Donc, à l'époque, il a eu quelques ennuis (rires). Quant aux colons, c'étaient des fermiers. Au début, ils ont effectivement trouvé qu'il s'agissait d'une décision unilatérale qui diminuait l'autorité mais avec le temps, ils ont fini par comprendre qu'il s'agissait d'une mesure tout à fait raisonnable et humaine.

LNA : Pour un territoire quasi aussi vaste que la Belgique, à quoi équivalait la force publique ?

Général Paelinck : Pour le territoire de Kanda- Kanda, mon père disposait d'une section de douze hommes. C'est-à-dire : dix soldats, un caporal et un sergent. Mais il ne faut pas oublier que la population à l'époque, dans ces territoires, se résumait à quelques milliers de personnes. Le territoire était très vaste mais fort peu peuplées. Le Congo central, le Congo de la brousse, n'est pas tellement peuplé. Ce sont surtout les villes qui regorgent actuellement d’une population excédentaire. Il faut savoir que Kinshasa, c'est plus de dix millions d'habitants, que Lubumbashi, c’est deux millions d'habitants. Comme cela, on fait vite le décompte des soixante millions de Congolais qui sont essentiellement dans les villes et très peu dans les campagnes.

LNA : Jusqu'à quel âge êtes-vous resté au Congo ?

Général Paelinck : C'est difficile à dire puisque j'ai fait plusieurs séjours au Congo. J'ai passé ma prime jeunesse au Congo puis, du temps de mon adolescence, j'y allais régulièrement, quasiment une fois par an. Par après, je suis entré comme officier de la force publique et j'y suis resté environ cinq ans ; y compris le temps de la sécession katangaise où j'étais dans ce qu'on appelait la gendarmerie katangaise.

LNA : Comment en êtes-vous arrivé, d'une enfance congolaise à une carrière militaire ?

Général Paelinck : Ca, c'est une bonne question. Après la guerre, mes parents ayant divorcé, je me suis retrouvé à Hasselt, chez mes grands-parents paternels. Je ne connaissais pas un mot de flamand. J'ai pourtant fait mes études à l'athénée de Hasselt. Au cours de vacances d'été en Afrique, chez mon père, celui-ci m'a demandé ce que je comptais faire. À dix-sept ans, il était effectivement temps de se décider. Je lui ai répondu que je voulais faire comme lui : carrière dans l'administration et donc aller à l'université coloniale. Il m'a tout de suite répondu que je n'aurais jamais l'occasion de venir exercer mes talents comme administrateur territorial au Congo car d'ici la fin de mes études, le Congo serait indépendant. Lorsqu'il en parle, nous sommes en 1951. Nous sommes donc à neuf ans de l'indépendance. Par contre, me dit-il, si tu veux venir au Congo, il n'y a qu'une seule solution, c'est de devenir militaire. J'ai donc fait l'école militaire dans le but de revenir au Congo comme militaire de la force publique. Ce que j'ai fait. Après un temps de service en Allemagne, j'ai réussi à avoir ma mutation pour le Congo. Je suis arrivé à la force publique au Katanga. Au moment où je suis arrivé, les troubles débutaient au Kassaï entre les Luas et les Balubas. Et donc mon unité a été envoyée aux Kassaï pour maintenir l'ordre et séparer les combattants. Après l'indépendance, comme j'étais au Katanga, j'y suis resté avec, ce qu'on appelait à l'époque, la gendarmerie katangaise, jusqu'au moment où cette gendarmerie a été défaite par les troupes de l'ONU. En réalité, nous, les officiers belges qui étions dans la gendarmerie katangaise, nous avons reçu l'ordre de la Belgique de quitter la gendarmerie sous peine de nous retrouver exclus de l'armée. Donc, une grande partie des cadres de cette gendarmerie sont rentrés en Belgique. D'abord parce que M. Paul Henri Spaek, ministre des affaires étrangères, le voulait et d'autre part parce que Tchombé, le président du Katanga, avait donné son accord pour que les cadres militaires retournent en Belgique. Certains d'entre nous sont tout de même restés en tant que mercenaires. Par après, dans ma carrière, j'ai eu l'occasion, en 1969, sur demande du maréchal Mobutu à l'époque, d'aller créer à Kinshasa et à Luluabourg le centre supérieur militaire dont la partie dite supérieure se trouvait à Kinshasa au camp Kokolo et la partie de formation de base était à Kananga. La ville avait été pillée auparavant. Nous nous sommes installés dans l'école des cadets dont il ne restait que les murs. Tout le reste avait été pillé par les soldats de l'ONU ; en l'occurrence, les Tunisiens. Ils avaient même emporté les prises de courant et les fils électriques. Par contre, au camp Kokolo, on avait hérité de deux bâtiments qui n'étaient pas utilisés : le mess des officiers et l'ancien mess des sous-officiers. Nous les avons transformés en école d'état-major. Le tout a fonctionné à partir de septembre 1969 à la grande satisfaction du Président-Maréchal. Je suis retourné à plusieurs reprises à Kinshasa et Kananga pour des séminaires concernant la tactique militaire. Par après, devenu chef du cabinet du ministre de la défense, M. De Donnea, j'ai eu l'occasion de retourner à plusieurs reprises en Afrique, avec ou sans le ministre, pour voir comment fonctionnait la coopération militaire. Puis je suis passé à l'état-major général où je suis devenu le chef d'État major général adjoint et à ce titre, j'avais la responsabilité de la coopération militaire au Zaïre puis au Congo mais aussi au Rwanda et au Burundi. Cela a été extrêmement intéressant car j'ai pu voir les différences de mentalité au sein de ces trois pays. Enfin, la fin de ma carrière débute vers 1989 comme commandant de l'école militaire et à ce titre, j'ai eu l'occasion de retourner au Congo qui s'appelait d'ailleurs toujours le Zaïre et au Rwanda pour que les élèves puissent s'entraîner dans un paysage africain. Jusqu'au moment où il y a eu ce que vous savez au Rwanda en 1994. Les relations avec ce pays, le Burundi et le Congo se sont éteintes. À présent, les étudiants de l'école royale militaire ne vont plus en Afrique par contre, nous recevons des étudiants africains du Burundi, du Rwanda et du Congo à l'Ecole Royale Militaire.

LNA : Vous m'avez avoué être issu d'une famille de constructeurs. Pouvez-vous être plus précis ?

Général Paelinck : Eh bien, du temps où mon père était administrateur de territoire puis lorsqu'il fut commissaire de district et enfin gouverneur de province, il n'a cessé de s'intéresser et de promouvoir la construction de bâtiments, de routes, de pont, de bac, de dispensaires, d'hôpitaux, etc. Il a donc contribué fortement à la mise en place d'infrastructures au Congo directement après la deuxième guerre mondiale et dans les années cinquante. De mon côté, je dois avoir hérité un petit peu de ce gène parce que tout au travers de ma carrière militaire j'ai toujours essayé de construire, réparer, aménager soit les logements des soldats soit la logistique. J'ai terminé ma carrière comme commandant de l'Ecole Royale Militaire. J'ai réussi, à ce titre, à provoquer le renouveau total de l'école militaire. On a démoli des tas de bâtiments et on a reconstruit une école militaire tout à fait moderne, tout à fait au goût du jour. Les idées qui ont présidé à cette construction sont les miennes. Par exemple, à l'école militaire, maintenant, il y a une zone qu'on appelle zone logements ; zone de vie en quelque sorte : logement, nourriture, sport, loisirs et puis il y a la zone académique qui est la zone où se donnent les cours, où il y a la bibliothèque, les laboratoires et il y a une troisième zone qui comporte l'administration de l'école et les auditoires, grand et petits. Ces trois zones ne sont pas séparées et l'on peut aisément s'en rendre compte à l'intérieur de l'école. Par ailleurs, l'école militaire qui était, à l'époque, entourée de hauts murs ne l'est plus désormais. C'est devenu un réel campus quasiment public. Voilà l'idée maîtresse. Dans la zone habitat, loisirs, sports, on avait imaginé et on a réalisé la partie sport en sous-sol. Donc, il y a un bassin de natation de trente-trois mètres au niveau moins trois ou moins quatre. Il est surmonté d'une grande salle de sports, d'une salle de judo, d'une salle d'escalade, etc. On a donc agi d'une manière extrêmement moderne. Notamment sur le plan du logement des élèves, les étudiants de l'école militaire ont au départ des chambres à quatre. Il n'y a plus de chambrée de douze ou vingt personnes. Lorsqu'ils avancent en âge et en sagesse, c'est-à-dire en grade, plus ils sont indépendants et ils finissent par avoir une chambre personnelle avec sanitaires et équipement nécessaire : Internet, etc.

LNA : Qu'est-ce qui caractérise, pour vous, l'esprit congolais ?

Général Paelinck : Ce qui caractérise le Congolais et la Congolaise, je crois que c'est en premier lieu la joie de vivre. Ils savent, comme tous les humains, qu'on ne peut pas vivre longtemps et ils souhaitent en profiter le plus possible. Malgré la misère qui règne encore actuellement au Congo - comme vous le savez, la plupart des Congolais n'ont même pas un dollar par jour - ce qui est admirable, c'est que ces gens savent tout de même rire, danser, chanter. En un mot : la joie de vivre malgré l'estomac vide.

Source : http://www.lenouvelafrique.net/pg.php?id_news=496