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Milices rurales au Burkina Faso Faut-il les dissoudre ? [04-2016]

La sécurité est une fonction régalienne de l’État. Il doit assurer la sécurité des biens et des personnes et la défense nationale. L’État est pourtant souvent mis à mal dans cette mission surtout dans les pays pauvres. C’est pourquoi, par instinct de survie, les populations développent des mécanismes palliatifs de défense qui, au Burkina Faso, ont pris la forme et le nom de « Koglweogo », les gardiens de la forêt en Moré, l'une des langues parlées dans ce pays. Les « Koglweogo » sont aujourd’hui au cœur d’un houleux débat non résolu sur la question de savoir s’il faut ou pas les intégrer au dispositif sécuritaire burkinabé ?

Les réticences quant au maintien des « Koglweogo » sont nourries par un certain nombre d’inquiétudes. D’abord, la violation des libertés publiques. En effet, de vifs soupçons de piétinement des droits de l’Homme pèsent sur eux. En janvier 2016, le Mouvement burkinabè des droits de l’Homme et des peuples (MBDHP) les a épinglé dans un rapport, affirmant avoir recensé des cas de tortures perpétrés par ces derniers. Leur rapport dénonce «l’existence (…) d’une organisation armée non républicaine, sans limite territoriale avec un pouvoir d’arrestation, de verbalisation, et de torture voire d’exécution sommaire […] sous le prétexte de lutte contre l’insécurité». À cet égard, maintenir les « Koglweogo » c’est encourir le risque de livrer les populations à la merci de ces milices qui, au mieux, ignorent les droits les plus fondamentaux, au pire les piétinent. Dans le même sens, comme l’indique le rapport de ladite ONG, les limites en termes de compétences et celles territoriales des « Koglweogo » ne sont pas définies. Du coup, leurs prérogatives vont souvent de la surveillance à l’arrestation ou même au jugement. Or, comme le disait Hubert Beuve-Méry « le pouvoir rend fou et le pouvoir absolu rend absolument fou ». Notons que le 26 février dernier, des individus se réclamant des Koglweogo de Boutourou ont arrêté et séquestré un catéchiste sous prétexte qu’il refusait de s’acquitter des frais d’adhésion au groupe d’auto-défense. Le 1er mars, c’était à leur tour d’être arrêtés et ligotés par leurs pairs. Les affrontements entre ces différents groupes peuvent développer les germes d’une guerre civile. Au regard de la faiblesse de l’État, le risque est que ces groupes se muent en mouvement armé et en rébellion. Les « Koglweogo » soulèvent des inquiétudes qui n’ont pas encore permis de les stopper, pourquoi ?

Défaillance ?

D’abord, parce que leur existence est symptomatique de la flagrante défaillance en matière sécuritaire de l’État burkinabé. On déplore au Burkina de nombreuses agressions, vols notamment à l’arraché, le phénomène des coupeurs de routes, etc. De plus, la menace terroriste y est pendante comme dans toute la sous-région. En témoigne, les récentes attaques meurtrières du vendredi 15 janvier 2016. À cela s’ajoute l’instabilité politique. Rinaldo Depagne, directeur du bureau de Crisis Group pour l’Afrique de l’ouest explique que « le Burkina est exposé aux menaces, l’appareil de sécurité a été chamboulé durant la transition et les services de renseignement sont moins efficients que par le passé ». Dans un tel contexte, il est difficile, voire impossible, pour l’État, qui s’est davantage paupérisé, de garantir la sécurité aux populations apeurées. L’option de la sécurité « non-exclusivement étatique » est alors envisageable voire inévitable. Surtout que ce recours n’est pas étranger aux États modernes. De multiples États, pourtant mieux lotis tels les États européens ou américains, ressentent le besoin d’y recourir pour une meilleure efficacité. Ceci se traduit par des transferts de missions au secteur privé, mais avec un encadrement légal strict pour éviter tout abus : surveillance des administrations publiques, surveillance des aéroports ou encore transport des détenus. En Suisse existe le programme « Jail Train System » (JTS) ayant pour but la privatisation du transport de prisonniers entre cantons. Ce programme n'a cessé de voir ses activités augmenter.

Deuxièmement, rappelons que les « Koglweogo » font partie intégrante de la culture du burkinabé. Comme l’indiquait Aziz Ouattara le président du Collectif pour un peuple uni (CCPU)« tout Burkinabè connaissant notre histoire doit comprendre que ces groupes d’auto-défense font partie de nos racines ». Les écarter, du moins en ce moment, c’est mettre à mal la sécurité. Car, au demeurant, si ces groupes se développent c’est en grande partie grâce à l’acceptation des populations. La société burkinabé semble se sentir davantage en sécurité avec ces groupes qui sont un pan de sa culture. L’existence de ces groupes traduit la tradition civique du peuple Burkinabè et son implication dans la gestion de la « cité », un acquis qui doit être préservé.

Mais pour éviter que ces groupes versent dans les abus, il faut encadrer légalement ces groupes, à l’image des sociétés privées dans les pays développés. Leur identification et leur formation sont indispensables. Il ne s’agit pas de se substituer à l’État, mais de l’aider à accomplir sa mission sécuritaire, surtout dans le contexte actuel de transition. Les « Koglweogo » doivent intervenir non pas au niveau du pouvoir prétorien du juge mais seulement, comme l’indiquait le Président Roch Kaboré, pour « attraper des voleurs ou des délinquants qu’ils remettent à la gendarmerie ou à la police pour que la procédure normale de justice s’enclenche ». Autrement dit, les « Koglweogo » ne doivent pas rendre justice mais simplement être « un appui pour nos forces de sécurité » Comme l’indiquait Aziz Ouattara.

Source : http://www.lenouvelafrique.net/pg.php?id_news=1195