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Monsieur Philippe Saeys-Desmedt, Directeur de Brussels Airlines pour l’Afrique : « L’Afrique est en mouvement » [01/2016]

À 54 ans, M. Philippe Saeys-Desmedt, Directeur de Brussels Airlines pour l’Afrique a passé 46 ans dans le continent dont 30 ans de vie professionnelle particulièrement en Afrique subsaharienne. Dans l’entretien qu’il a bien voulu nous accorder, il revient sur l’implantation de la compagnie dans le continent en plein mouvement et sur les défis futurs à relever. En outre, M. Saeys-Desmedt est revenu sur toute la volonté de Brussels Airlines à continuer ses opérations malgré la présence d’Ebola dans certains pays africains notamment en Guinée, au Liberia, au Sierra Leone (en Freetown).

Le nouvelAfrique : Quels pays avez-vous déjà fait durant votre long séjour en Afrique ?

Philippe Saeys-Desmedt : J’ai vécu au Rwanda, au Burundi, au Congo Kinshasa, au Nigeria, en Tunisie, au Cameroun, en Guinée Équatoriale, en Ouganda et 2 ans en Allemagne avant de retourner en Afrique précisément au Cameroun et en Guinée Équatoriale. Je suis ensuite parti au Kenya puis au Sénégal, au Congo et depuis 2 ans et demi, je suis revenu en Belgique où je suis responsable de Brussels Airlines pour l’Afrique. Donc, j’ai fait un certain nombre de pays.

LNA : Qu’est-ce qui vous a le plus marqué en Afrique ?

P.S.D : Ce qui m’a le plus marqué, c’est que l’Afrique est en mouvement. C’est quelque chose dont on se rend compte et je crois que c’est une bonne chose. Comme je le disais tout à l’heure, parfois les gens véhiculent des idées assez négatives sur l’Afrique. Ce n’est pas la réalité. Il y a beaucoup de success-stories qu’on peut raconter sur le continent africain et pas seulement l'exemple de la maladie Ebola, notamment avec la manière dont elle a été gérée à certains égards. Je crois qu’il faut mettre en avant ce continent en mouvement plutôt que les aspects négatifs qu’on connaît en général et qui sont des clichés.

LNA : Quel est le niveau d’implantation de votre compagnie en Afrique ?

P.S.D : Nous avons 19 destinations dans 17 pays. Plus au nord, on a le Maroc où nous avons deux escales. Nous avons le Sénégal avec l’escale de Dakar où nous opérons 7 fois par semaine, la Gambie 4 fois, la Guinée Conakry 3 fois par semaine, Freetown 4 mois, Liberia 4 fois, on a également le Burkina Faso, nous avons ouvert au mois de septembre à Accra au Ghana. Nous avons aussi la Côte d’Ivoire, le Togo, le Bénin, le Cameroun, la République Démocratique du Congo, l’Angola, le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda. Brussels Airlines est presque dans tous les pays en Afrique subsaharienne que nous desservons toutes les semaines 4, 5, 6, 7 fois par semaine. Nous avons un vol sur Kinshasa tous les jours. Notre implantation est donc importante parce que la Belgique a des liens très forts avec l’Afrique. De ce fait, nous avons toujours entretenu ces bonnes relations avec l’Afrique.

LNA : Quelles sont les difficultés actuelles auxquelles vous êtes confrontés ?

P.S.D : Nos difficultés sont d’ordre opérationnel. Par exemple, il y a beaucoup d’aéroports en Afrique qui doivent être rénovés ou des aéroports qui ont des soucis liés à l’électricité. Pour un avion qui doit atterrir la nuit, il faut de l’électricité. Ce genre de difficultés arrive fréquemment. La majorité de nos problèmes sont d’ordre opérationnel : électricité, rénovation, difficultés à parler avec certaines autorités pour leur faire comprendre que le planning de ces rénovations doit se faire longtemps à l’avance et ne doit pas être fait seul. Il doit se faire avec les responsables des compagnies aériennes. On est beaucoup à opérer en Afrique. C’est le plus grand défi que nous ayons à faire comprendre aux autorités qu’il faut planifier à l’avance parce que l’aviation est quelque chose de très sérieux. Un billet réservé qui ne peut pas voler ce soir est perdu. Demain, j’ai d’autres passagers. Qu’est-ce je fais avec ce passager d’hier ? Ce n’est pas comme une bouteille d’eau. Si je ne la vends pas aujourd’hui, demain je peux le faire. Le siège que je ne peux pas vendre aujourd’hui, je ne peux le faire demain parce que l’avion sera parti ce soir avec le siège vide. C’est ça la différence entre un produit et le siège. Cette donne est générale dans l’industrie du service. Si vous réservez dans un hôtel plein, cet hôtel ne pourra plus revendre la chambre à quelqu’un d’autre.

LNA : Vous avez renforcé les vols à destinations de l’Afrique, qu’est-ce qui justifie cette politique ?

P.S.D : Les pays et les économies se développent et les gens sont de plus en plus mobiles. Il y a de plus en plus d’intérêt vers l’Afrique. Vous avez plein de compagnies qui opèrent sur l’Afrique et puis il y a la classe moyenne qui se développe. Ces gens veulent voyager. Ils voyagent pour faire quoi  ? Pour les affaires, pour les études des enfants, pour se soigner également. L’aspect médical devient de plus en plus important. Il y a certains qui se spécialisent dans les packages médicaux, il y a des compagnies qui les envoient en Europe pour faire des check-up et très souvent les compagnies d’assurance se rendent compte que les check-up tous les trois ans coûtent plus cher que d’envoyer quelqu’un en Europe. Tout cela fait que l’activité économique se développe en Afrique et fait qu’il y a de plus en plus de transport aérien. C’est la raison pour laquelle nous renforçons notre présence en Afrique et il y a beaucoup de compagnies qui ne peuvent pas dire qu’ils sont présents dans 17 pays.

LNA : Y a-t-il cette concurrence entre compagnies ?

P.S.D : Il y a de la concurrence mais elle n’est pas mauvaise. Deuxièmement, on ne peut pas l’éviter. Comme on ne peut pas l’éviter, il faut démontrer qu’on est meilleur et qu’on peut battre la concurrence. C’est ce que fait Brussels Airlines. Il est évident que nous avons certains atouts. En exemple, il y a un peu plus de 3 ans nous avons entièrement revu le confort de nos passagers à bord en installant de nouveaux sièges dans les classes économiques et business. Il y a beaucoup plus d’espace. L’écran individuel est doté d’un système audio vidéo, système tablette comme vous avez à la maison. Vous choisissez le film dans la langue que vous voulez et vous le regarder au moment où vous le souhaitez. C’est un service très prisé. De plus, tous nos équipages vont au moins 2 fois par semaine en Afrique. Ils s’y connaissent, ils apprécient le contact avec l’Afrique. Ils sont aussi souvent en contact avec des passagers envoyés par l’OIM. Ces passagers viennent d’endroits différents en Afrique où ils n’ont jamais pris un avion. On leur donne des cours pour les préparer à leur voyage.

LNA : Les services ?

P.S.D : On offre des relations entre l’Afrique et la Belgique avec maximum 7 vols par semaine et minimum 1 vol par jour. On fait partie de Star Alliance avec le groupe Lufthansa. Le profil de nos passagers est très diversifié. Parce via Bruxelles, vous avez accès au monde puisque vous pouvez bénéficier non seulement du réseau de Brussels Airlines mais également du réseau de tous les membres de la Star Alliance et du Groupe Lufthansa. Donc, au départ de Bruxelles, le passager peut entre autre se rendre à Francfort ou Munich avec Lufthansa, à Zurich en utilisant le réseau de Swiss ou aller sur Vienne avec la compagnie Austrian. Le réseau de Brussels Airlines, c’est l’accès à l’Europe vers le monde.

LNA : Que retenir de votre filiale Korongo en RDC ?

P.S.D : On a arrêté cette filiale au mois de septembre dernier. Non pas parce que ça marchait pas, mais simplement parce que l’idée était prématurée. Korongo marchait très bien. C’est une compagnie belge établie en RDC avec un avion immatriculé en Belgique qui opérait à l’intérieur du Congo et qui permettait d’avoir un transport intra-congolais. Les membres de l’équipage étaient formés ici chez nous à Bruxelles mais étaient tous des congolais. Nous avions construit notre propre hangar à Lubumbashi qui est d’ailleurs le seul hangar respectant les normes européennes strictes en Afrique subsaharienne. Il n’y en a pas d’autres. Donc, on n’avait quelque chose pour faire fonctionner la filiale mais cela n’a pas fonctionné parce que l’idée était prématurée. Et on a préféré arrêter. Mais ce n’est pas parce qu’on a arrêté qu’on a laissé tomber. On garde toujours le lien avec cette région.

LNA : Avec la problématique d’Ebola, SN a continué de desservir la destination Afrique contrairement à d’autres compagnies, quelles ont été vos motivations principales ?

P.S.D : Ebola est une maladie terrible qui a frappé en gros 3 pays, il y a maintenant un an et demi : la Guinée, le Liberia et la Sierra Léone. Évidemment cette épidémie a donné une image négative de ces pays . On n’a jamais montré les success stories de ces pays. Notre CEO M. Gust a eu raison de lancer l’initiative « Africa Is Not Ebola » ( «  l’Afrique, ce n’est pas Ebola »). Quand le virus a frappé ces pays, on a vu une baisse générale de l’activité aérienne en Afrique. Les gens avaient fait une amalgame et pensaient que c’est toute l’Afrique qui est touché par le virus. Si vous allez en Tanzanie, en Ouganda les gens vous disent qu’il y a Ebola alors qu’il y a 4000 km qui les séparent aux pays sujets à l’Ebola. C’est si comme vous disiez qu’il y a une épidémie de grippe à Madrid et que vous allez éviter Moscou. C’est presque la même distance. Je n’ai jamais vu une épidémie qui se transmet comme çà. Comme c’est une maladie très grave et que la manière de contamination est particulière, nous avons travaillé avec les services du Médecins Sans Frontières (MSF), avec le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (Centers for Disease Control and Prevention, CDC) aux États-Unis et l'Institut de Médecine Tropicale d’Anvers pour sensibiliser le public – aussi notre propre personnel. Ces experts médicaux sont venus nous expliquer les risques. Que fallait-il faire ? Notre choix a été porté sur la continuation de nos opérations quitte à devoir réduire le nombre de fréquences pour des raisons logistiques. D’ailleurs, on est descendu jusqu’à deux fréquences par semaine. On est remonté à 4 maintenant. C’est avant tout pour des raisons logistiques parce que notre base qui était au Liberia a dû être installée à Dakar. Parce qu’après un long vol, les équipages doivent se reposer et pour ne pas exposer nos équipages, nous avons changé de base. Donc,pour assurer 2 vols sur Freetown et 2 vols sur Monrovia, ces 4 vols transitaient par le Sénégal pour permettre un changement d’équipage et pouvoir continuer. C’est d’ailleurs avant tout grâce au soutien de nos collègues naviguant et le personnel au sol que nous avons pu garder nos lignes opérationnelles. Malgré le virus, il y a eu aucun cas d’absentéisme au sein de notre personnel. Ce qui est quelque chose d’important à noter.

Quelle autre compagnie européenne continuerait à opérer comme nous l’avons fait. Aucune. Nous étions la seule compagnie du monde occidentale à avoir continué nos opérations en respectant des règles très strictes et sous certaines conditions mais nous l’avons fait. Une des raisons était de continuer à opérer sous une réglementation stricte et de permettre le transport des médecins, des spécialistes, des infirmiers et du personnel humanitaire. Ce qui nous a permis de faire voyager les promoteurs du vaccin conçu pour Ebola. Pour arrêter la maladie, il ne fallait pas arrêter les opérations. Nous avions une responsabilité que nous souhaitions et devions prendre, car nous nous sommes rendus compte que nous sommes bien plus qu’une compagnie aérienne transportant des personnes et du fret d’un point A à point B – nous faisons partie de la solution pour vaincre le virus.

Donc, nous avions plusieurs raisons pour continuer à opérer. Nous l’avons fait et cela a été un succès puisque nous avions pu continuer à opéré vers les 17 pays africains. Pendant la crise Ebola, nous avons refusé 63 passagers qui présentaient des symptômes de la maladie. Mais, ce n’est pas parce que vous avez la fièvre que vous avez Ebola. Ces personnes ont pu voyager un mois plus tard parce qu’il fallait une période de 21 jours représentant le temps d’incubation de la maladie. Mais si on s’était rendu compte que la personne était malade, on ne l’aurait pas transportée. Nous avons ainsi compté des milliers de passagers à bord de nos vols entre ces trois pays et le reste de notre réseau et ce avec zéro cas de contamination. Ce que l’on peut dire c’est que l’Afrique est notre maison. On ne peut pas le dire tout haut et l’abandonner après. Ce n’est pas en phase avec nos visions et ce que nous préconisons.

Pour le cas d’Ebola, seuls 3 ou 4 pays ont été touchés, donc il y a aucune raison que l’économie des autres pays soit affectée. Nous avons d’ailleurs crée une page Facebook pour inciter les gens de partager leurs expériences sur l’Afrique. Petit à petit, ils ont commencé à comprendre que c’est une maladie grave mais qui reste concentrée et qui peut être vaincue: ce qui fait que l’Afrique n’est pas le continent qu’il faut fuir mais qu’il faut visiter. Nous l’avons senti surtout en Afrique de l’Est où on a noté des chutes assez importantes de passagers. Les touristes ne venaient plus parce qu’ils avaient peur. Hors que l’Afrique de l’Est est de l’autre côté de l’Afrique subsaharienne. C’est pourquoi je prenais tout à l’heure l’exemple de Madrid par rapport à Moscou. À ce sujet, nous avons développé la campagne « Africa is not Ebola » qui a eu un franc succès puisqu’elle a été reprise par différents chefs d’État don les pays les plus concernés : la Guinée, le Liberia et la Sierra Léone. La Maison Blanche nous a félicités et de nombreux officiels ont porté le badge il y a quelques semaines.

LNA : Par rapport à votre mission, comment sentez-vous l’apport des autorités des pays que vous desservez ?

P.S.D : Beaucoup de pays ont compris que la taxe n’est pas quelque chose qui peut attirer les investisseurs parce que s’il n’y a pas d’investisseurs, il n’y a pas de compagnies aériennes non plus. Certains l’ont compris. Il est important de se dire qu’une compagnie qui vend en Economy Class un billet à 1000 dollars, ce n’est pas 1000 dollars de profit. Un vol coûte très cher. Vous devez payer l’avion qui coûte cher à l’achat et la maintenance (entretien), le coût de l’opération (1/3 des dépenses sur un vol couvre le prix du carburant). Ça veut dire que le carburant coûte plus cher que la masse salariale. C’est énorme. En plus, chaque pays que je survole avec mes avions, je dois payer. C’est la taxe du survol, plus tu survoles, plus tu paies. À chaque fois que j’atterris, je paie également l’éclairage. Je paie la taxe liée à l’électricité. C’est pourquoi, il faut assurer le contrôle des coûts et des recettes. Il faut être sûr que le vol est rentable et économiquement justifiable.

LNA : Quels sont les défis majeurs auxquels vous êtes confrontés ?

P.S.D : Un des grands problèmes, c’est le coût, c’est une des raisons pour lesquelles vous trouvez très peu de compagnies low cost en Afrique parce que le coût est tellement élevé qu’on ne peut pas faire du low cost. Il y a 2 ou 3 exemples en Afrique de l’Est. Mais, le défi majeur, c’est d’avoir un contrôle du coût pour pouvoir justifier le développement. Pas de contrôle des coûts, pas de développement. C’est un gros axe de développement qu’on a. 100% de contrôle des coûts nous permettrait de grandir. Il y a suffisamment d’exemples de compagnies qui opéraient en Afrique qui n’ont pas eu le contrôle du coût et malheureusement, ça n’a pas marché. Un autre défi, c’est de pouvoir consolider dans certains pays les acquis parce qu’il y a des problèmes économiques ou politiques assez sérieux. Mais, nous continuons d’opérer dans ces pays avec des fréquences limitées.

LNA : Au plan technique ?

P.S.D : Pour l’instant, nous avons 8 avions. Un 9e, voir 10e, va bientôt rentrer dans le circuit. Un avion vole en général 6 jours par semaine et le 7e jour, il est utilisé pour la maintenance parce que les avions volent beaucoup. C’est cette maintenance qui permet qu’il vole très bien durant ces 6 jours. Si on dit 8 à 9 avions, cela coûte beaucoup d’argent et il faut les recettes pour compenser les dépenses. On veut opérer dans certains pays mais il y a une instabilité politique, économique, ou il y a une surcapacité sur le marché ou encore des problèmes de sécurité. Il y a quelques années par exemple, on a malheureusement dû arrêter pour des questions de sécurité nos opérations à Bamako (Mali). Mais ce n’est pas parce qu'on a arrêté aujourd’hui qu’on ne va pas le faire dans un an. Mais, il y a des fois où on ne peut pas suivre notre plan de développement. Mais, en Afrique, nous avons augmenté nos vols. On a ouvert la destination Accra au Ghana. Le but dans l’avenir, c’est augmenter le nombre de fréquences afin d’offrir une meilleure flexibilité.

LNA : Quels messages adresseriez-vous à l’Afrique ?

P.S.D : Un message d’espoir. Je crois que l’Afrique a connu beaucoup de crises dans son passé. Mais j’ai remarqué qu’elle a à chaque fois su surmonter toutes ces difficultés. Sur les dix dernières années, on a vu une augmentation constante d’africains qui voyagent. Dans nos vols, il y a 15% de passagers occidentaux contre 85% d’africains. Je crois qu’avoir un tel pourcentage d’africains symbolise la présence Brussels Airlines en Afrique. Je le constate quand je voyage sur Dakar, je le vois au Liberia. Mais la plupart travaille dans les organisations internationales, les médecins, les analystes. Avec le Burundi ou le Rwanda, on a presque 90% d’africains parce qu’ils voyagent beaucoup. On vole maintenant 5 fois par semaine sur le Rwanda. Avec le nouvel avion, ce chiffre passera à 6 vols. Ce qui nous amène dans notre volonté à renforcer les fréquences dans les pays africains. On veut aller de l’avant. On devrait avoir le maximum de vols par semaine en Afrique.

Source : http://www.lenouvelafrique.net/pg.php?id_news=1176