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État néo-patrimonial en Afrique - Quatre mesures pour le vaincre [04/2015]

Certains États bureaucratiques africains maintiennent à l’interne des formes de domination néo-patrimoniale qui s’appuient sur le clientélisme, la loyauté, l’allégeance ou la soumission. En effet, le chef de l'État et ses proches gèrent les ressources publiques comme un héritage familial. Il y a une non-dissociation des rôles politiques et économiques, confusion entre les biens publics et les biens privés et entre l’individu et sa fonction. Il n’existe pas de réédition des comptes.

Il s’en suit des paradoxes saisissants : des pays comme la Guinée font partie à la fois des plus riches en ressources naturelles (« catastrophes géologiques ») et des plus pauvres en développement humain alors que d’autres comme le Botswana sont à la fois parmi les plus grands producteurs mondiaux du diamant et parmi les moins corrompus. Il s’agit probablement d’une différence de gestion. Notre question est donc de savoir comment sortir du cycle infernal de la gestion (néo)patrimoniale.

Réduire l’hyper présidentialisme

Certains auteurs comme Tcheta-Bampa parlent de la domination de la rationalité politique sur la rationalité économique incitant à des guerres ou des coalitions d’individus exclus des réseaux de clientélisme qui se surinvestissent dans la conquête du pouvoir dans le but de contrôler à leur tour une partie des rentes. Ce comportement est causé par l’institutionnalisation des dispositions politico-culturelles pré-coloniales et coloniales qui ont fait du chef un hyper président ou un roi (néo-présidentialisme). Il convient donc de réformer les régimes politiques dans l’essentiel des pays africains pour réduire l’étendue des pouvoirs présidentiels en optant par exemple pour les régimes ou démocraties parlementaires où il existe des contre-pouvoirs suffisants permettant de prévenir ce mode de fonctionnement.

Réformer le droit de propriété

La gestion néo-patrimoniale conduit surtout à des biens mal acquis qui, selon le Centre national de coopération au développement, sont « tout bien meuble ou immeuble, tout avoir ou fonds susceptible d’appropriation privative soustrait illégalement du patrimoine public ». Une étude du Comité catholique contre la faim et pour le développement publiée en mars 2007, évalue entre 100 et 180 milliards $ les avoirs détournés par des dirigeants au cours des dernières décennies. Tout cela est rendu possible par la faiblesse du droit de propriété qu’il convient de réformer pour séparer le patrimoine public du patrimoine privé. De nos jours, la perspective de sécurisation foncière et de la gestion des ressources naturelles repose sur une conception patrimoniale de type institutionnel comme le montre par exemple Moustapha Diop (2007) sur ses propositions de réformes foncières en Guinée. Dans ce genre d’approche où les droits de propriété ne sont pas définis (les ressources naturelles appartiennent à l’État et par conséquent, à personne), les profits reviennent au plus fort qui peut être un groupe d’individus armés, une multinationale prédatrice ou une personnalité politique de premier plan comme le Chef de l’État. Un propriétaire doit être désigné. Il peut être la commune environnante comme dans les États décentralisés, le découvreur de la ressource comme dans le droit de la propriété industrielle où la marque appartient à celui qui la dépose en premier (accord de Bangui) ou le propriétaire du terrain détenant un titre foncier comme aux États-Unis. Dans le cadre d’une gestion communautaire, des organisations comme l'UICN, le WWF ou le GIZ (GTZ) proposent de développer une gestion pluripartite et participative basée sur la négociation, l'apprentissage et des approches collaboratives, avec un objectif de réduction de la pauvreté et des inégalités. Il s’agit d’une « situation dans laquelle au moins deux acteurs sociaux négocient, définissent et garantissent entre eux un partage équitable des fonctions, droits et responsabilités de gestion ». C’est donc un processus qui permet de passer du patrimoine naturel au capital naturel qui est facteur de croissance.

Instaurer des mécanismes de transparence

Selon le FMI, entre 1999 et 2002, 248 millions $ provenant de l’extraction du brut n’ont pas laissé de traces dans la comptabilité congolaise par exemple. Selon Le Monde du 25/03/2004, dans le budget 2003 du Congo, sur les 800 millions $ de rentes pétrolières, seulement 650 millions $ ont été inscrits. Cela est rendu possible par l’absence des mécanismes de transparence qui permettrait d’assurer l'appropriation publique et le partage des avantages comme recommandé par l'Initiative pour la transparence des industries extractives Publish What You Pay et Transparency International. Il sera beaucoup plus difficile de voler ou de mal gérer les ressources naturelles lorsque le grand public pourra vérifier combien est extrait, combien est vendu et où va l'argent comme en Norvège où chaque citoyen peut aller sur le site public www.nbim.no pour connaître la richesse pétrolière à la seconde. Il faudrait aussi améliorer les normes fiscales internationales pour éviter le transfert de bénéfices, l'évasion fiscale et les flux financiers illicites. Enfin, des ONGs locales devraient s’impliquer comme Maka Angola pour révéler la corruption dans l'industrie pétrolière locale.

Opter pour un leadership axé sur le développement

La rationalisation de l’utilisation des ressources publiques pour l’amélioration des conditions de vie en Afrique passe enfin par un bon leadership axé sur le développement. Par exemple, le Ghana sous John Kufuor a bénéficié grandement de sa richesse pétrolière pour être le premier pays africain à réduire de moitié l'extrême pauvreté selon l’ONU. Un dialogue national sur les avantages et les pièges du pétrole avait été lancé dès sa découverte au large des côtes. Aussi, l’autosurveillance et l’autorégulation avaient été organisées entre toutes les institutions pétrolières notamment le Ghana Petroleum Commission, le Ministry of Energy and Petroleum, le Ghana National Petroleum Corporation et le Ghana Sovereign Oil Fund. Ce bon leadership devrait conduire à une gestion durable des ressources naturelles qui favorise leur renouvellement ou leur conservation de manière pérenne, sans menaces de surexploitation.

En conclusion, il est possible du sortir du cercle vicieux du néo-patrimonialisme. Il suffit de réduire l’incidence de l’hyper présidentialisme, instaurer des mécanismes de transparence, réformer le droit de propriété et opter pour un leadership axé sur le développement.

Source : http://www.lenouvelafrique.net/pg.php?id_news=1098