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République centrafricaine - Quels chemins pour la paix ? [05/2014]

En dépit d’une présence des forces armées de la paix, la République centrafricaine est inlassablement à la recherche du chemin de la stabilité politique. Les exactions, tueries et règlements de compte orchestrés tant par les anti Balaka que par les ex Seleka sont toujours légions dans l’ensemble du pays y compris dans la capitale Bangui. Face à cette situation, des interrogations demeurent quant à la pertinence des voies empruntées pour sortir de la crise.

Restaurer la stabilité politique et l’harmonie sociale en Centrafrique requiert plusieurs exigences. Si cette nécessité passe inéluctablement par le moyen d’une force de rétablissement de la paix, elle ne saurait se réduire à cette seule dimension. Actuellement, la RCA connaît sa 10ème opération dite de paix. Toutes les autres, déployées avant la MISCA depuis 1997 n’ont jamais réussi à véritablement stabiliser le pays. Ces opérations s’inscrivant très souvent dans le court terme, fortement encadrées par des mandats précis, visent généralement à réguler l’usage de la violence armée et à instaurer un environnement politique susceptible de permettre la reconstruction d’un certain ordre politique. Ainsi, étant occupées à traiter les symptômes du mal, ces opérations ne s’intéressent pas aux problèmes structurels étant le plus souvent les sources et/ou causes de ces conflits.

Pour s’en rendre compte, il suffit de constater que la résolution 2127, donnant mandat à la Misca, confine celle-ci à la protection des civils, au rétablissement de la sécurité et de l’ordre public, à la création des conditions idoines à la fourniture de l’aide humanitaire et à l’accompagnement des efforts visant à réformer et restructurer les secteurs de la défense et de la sécurité. Elle ne s’intéresse pas aux racines du mal, notamment à l’action des acteurs de l’ombre de cette instabilité politique ou encore aux polarisations de groupe, nées des instrumentalisations des différences ethniques favorisant pauvreté et misère. Or, il est évident qu’une solution durable à cette crise passe par une réponse adéquate à ces questions. Car, les antagonismes transnationaux menés pour l’accaparation des ressources naturelles centrafricaines, principalement le pétrole, l’or et le diamant, par les acteurs de l’ombre[1] (États, Multinationales ; groupes armés non identifiés, bandits de grand chemin), contribuent, au même titre que l’instrumentalisation ethnique usée pour la mobilisation politique, à la perpétuation de la violence politique contre et dans l’ordre politique centrafricain[2]. On se souvient encore, à titre d’illustration, qu’aux premières heures du conflit, le patron de la société Grynberg Petroleum, à une réunion du centre international pour le règlement des différents au sujet du contentieux opposant la RCA à ce dernier, aurait déclaré sans ambages «…que l’affaire était en train de se régler sur le terrain, ajoutant que, Bangui allait bientôt tomber »[3].

S’intéresser à la racine du conflit

En sus du fait qu’elle ne s’attaque pas aux racines du mal du conflit, l’opération de paix en Centrafrique ne s’intéresse pas non plus à la dimension au ras du sol du conflit. Les antagonismes qui étaient il y a encore peu, principalement visibles entre les leaders politiques qui utilisaient (et continuent d’utiliser) des appareils militaires pour entretenir l’insécurité dans le pays, connaissent depuis la chute du régime de Bozizé une réalité auprès des citoyens ordinaires. C’est pourquoi l’on a tendance à dire que le conflit est dorénavant religieux. Même s’il n’en est rien dans la mesure où la religion ne saurait être considérée comme au fondement de la crise du fait principalement que les Centrafricains, malgré leur diversité vivaient en bonne intelligence avant le conflit. Toutefois, cette qualification traduit dans une certaine mesure la dissémination du conflit à l’échelle des relations interindividuelles et la cristallisation de celui-ci sur le marqueur identitaire religieux. Dès lors, outre la stabilisation politique par la régulation de la violence armée, il y a une nécessite de travailler sur le rapport cognitif (vivre ensemble) des citoyens centrafricains, seul capable de favoriser le retour à des représentations positives de l’autre. Ce travail, loin de pouvoir être le fait d’un hypothétique guide ou prophète, doit être mené par les leaders de la société au ras du sol centrafricain à l’échelle des quartiers et des communes. Plusieurs religieux des différentes confessions présentes en Centrafrique ont misé sur cette dimension de la paix par leurs actions qui n’ont pas reçus jusqu’ici, l’attention qu’elles devraient avoir. L’archevêque de Bangui, l’imam et le chef de la communauté protestante de Centrafrique œuvrent ainsi ensemble depuis 2012, via des causeries, des prières, et séminaires, à la reconstruction des relations interpersonnelles entre centrafricains. Si leur mobilisation a aussi une dimension transnationale de part leur lobbying pour la paix au niveau international, ces actions menées auprès des citoyens participent à la construction d’une paix sur le long terme. De fait, elles cherchent à reconstruire les liens sociaux brouillés par le conflit. Dès lors, elles présentent un certain mérite. Cependant, ces actions restent encore limitées. Pour l’instant, elles se concentrent aux seules zones jugées sures de la RCA. Normal pourrait-on dire, dans la mesure où ces leaders religieux pensent aussi à leur sécurité.

Faire bénéficier à tous des actions de pacification

Mais, il faut aussi noter que les milliers de réfugiés centrafricains, principalement musulmans, ne bénéficient pas de ces actions de pacification. Pourtant, il n’est pas exclu que dans cette «Centrafrique du dehors » naisse le phénomène de « refugee warrior » du fait d’une volonté de vengeance et rancœur, ou encore de l’instrumentalisation comme le laisse voir les déclarations de guerre de Boko Haram aux anti Balaka. Il y a donc, la nécessité, pour une véritable pacification de la centrafricaine d’étendre les actions au ras du sol au niveau des réfugiées centrafricains. Mieux, il faudra songer, une fois la régulation de la violence armée effective, à utiliser les ressources locales intra et inter groupes sociaux de transformation des conflits pour espérer véritablement réconcilier les Centrafricains entre eux. En plus de la mobilisation de la société civile afin de reconstruire le lien social distordu par les violences, il faudrait monter une instance nationale de réconciliation comme ça été le cas en Afrique du Sud et au Rwanda, en s’appuyant sur des pratiques sociales locales. De même, il faut aussi régler la problématique de la distribution des ressources naturelles, de l’alternance politique pacifique. Loin d’être seulement, une réconciliation sociale basée sur la peur du retour vers un passé douloureux, celle-ci doit pouvoir jeter les jalons d’un ordre politique où l’alternance politique est acceptée par tous, la redistribution des ressources, la reddition des comptes effectives, et l’ampleur des influences externes moindre.

[1] Dans son adresse lors de la rencontre sur la situation en république centrafricaine à Bruxelles le 02 avril 2014,la Présidente de la commission de l’union africaine a mis en exergue la course pour l’exploitation illégale des ressources naturelles centrafricaines comme une des racines du conflit http://www.peaceau.org/en/article/remarks-by-dr-nkosazana-dlamini-zuma-chairperson-of-the-african-union-commission-during-the-special-meeting-on-the-central-african-republic-in-brussels-02-april-2014 consulté le 09 avril 2014.

[2] http://www.irenees.net/bdf_fiche-analyse-1011_fr.html consulté le 08 avril 2014.

[3] Cf interview de Francois Bozizé http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2724p024-033.xml11/ consulté le 08 mai 2013.

Source : http://www.lenouvelafrique.net/pg.php?id_news=1051