back

L’Afrique, terre d’avenir pour le football belge Les relations entre l’Afrique et le football belge : une histoire pleine de fertilité mutuelle [02/2014]

Bientôt, sera connu le 23e Soulier d’ébène, récompense attribuée au meilleur joueur africain ou d’origine africaine du championnat belge. Cette récompense est le symbole de la richesse remarquable d’une histoire intime partagée entre la Belgique et le continent africain. Le présent du football belge caractérisé par la flamboyance de l’équipe nationale le montre à suffisance à travers les origines africaines de plusieurs de ses joueurs. Le championnat actuel le montre également, ne serait-ce qu’à travers la pléthore de joueurs africains ou d’origine africaine qui évoluent à un niveau appréciable chaque week-end sur les pelouses de la Jupiler League. Toutefois, le passé des relations footballistiques entre la Belgique et l’Afrique regorge d’une abondance fertile sur laquelle il est intéressant de revenir.

Le départ de l’aventure : l’arrivée des « Belgicains », Paul Bonga Bonga, Léon Mukuna Trouet, Henri Erumba Monde dit « Tcha Tcha », Julien Kialunda & Co.

Si contrairement à la France, le talent des footballeurs africains à l’époque des colonies ne fit pas particulièrement l’objet de l’attention du football belge, l’approche et l’accession à l’indépendance de leurs pays va changer la donne. Alors que le football français est en pleine crise à la fin des années 1950 et au début des années 1960, se détourne du vivier africain qui l’a nourri depuis les années 1930, la Belgique décide, quant à elle, de se tourner vers sa colonie congolaise. Une tournée d’une sélection de Léopoldville (actuelle Kinshasa) en métropole en 1957 fut le détonateur de cet intérêt. Le jeu qu’il produit eut une telle impression favorable en Belgique qu’il finit par convaincre les clubs de la métropole de s’intéresser à ces talentueux joueurs noirs. Ainsi démarra la génération de ceux que l’on surnomma « les Belgicains »1. Profitant des troubles de l’indépendance du Congo qui désorganisent les compétitions congolaises, ils engagent et affilient au moins vingt-cinq joueurs de l’ex-colonie entre 1961 et 1963, arguant qu’il n’y existe plus alors de groupement ou de fédération reconnus par la FIFA2.

Léon Mukuna Mutombo, alias « Trouet », premier joueur noir en équipe nationale belge.

Le premier de ces Belgicains à fouler les pelouses belges est Léon Mukuna que l’on surnomma très vite « Trouet » car il était réputé trouer les filets adverses, tant ses frappes de balles étaient puissantes. Son histoire rocambolesque témoigne de l’envie qu’avaient les clubs belges de l’époque de disposer de joueurs venant du Congo. En effet, Léon Mukuna se met d’accord en 1954 avec les dirigeants du Sporting de Lisbonne, mais la fédération belge et l’Association Royale Sportive Congolaise (ARSC) s’opposent à son transfert sous prétexte que les transactions auraient été effectuées de manière anormale. Soutenu par les footballeurs congolais qui voient dans le refus des autorités sportives belges une nouvelle manifestation de l’oppression coloniale, il obtient finalement son bon de sortie en décembre 19543. Mukuna reste trois ans à Lisbonne avant de gagner le club belge de la Gantoise en 1957 et avant d’évoluer ensuite à Waregem. Son talent n’échappa pas à la fédération belge. Il obtint une sélection en équipe nationale belge – la seule et unique – et devint ainsi le premier joueur noir d’origine africaine à porter la vareuse des Diables rouges.

Paul Bonga Bonga, alias « Bopaul », meneur de jeu génial du Standard de Liège et un des meilleurs joueurs du monde au début des années 1960.

La fertilité mutuelle entre le football belge et le football africain se révèle assez tôt par l’intermédiaire de ces « Belgicains » qui ont emboîté le pas à Léon Mukuna. Parmi eux, celui que l’on surnomma le « Ferenc Puskas de Léopoldville », Julien Kialunda dont le talent faisait étrangement penser au génie hongrois de l’époque. On peut également citer Henri Erumba Monde dit « Tcha Tcha » qui nous a récemment quittés et qui, comme Kialunda fit longtemps ses armes à Anderlecht. On citera encore parmi les plus connus, Gabriel Mayunga, André Assaka dit « Assassin », Ignace Muwawa, etc.

Cependant, le « Belgicain » qui connut la carrière la plus brillante fut incontestablement Paul Bonga Bonga, meneur de jeu du Standard puis de Charleroi, grande star du football belge de l’époque qui permit aux Rouches de dominer le football belge. Sacré deux fois champion avec le Standard de Liège, il termine en 1962 deuxième au soulier d’or derrière Paul Van Himst. Il est également désigné deuxième meilleur joueur d’Europe. Cette année-là, il figure surtout parmi les onze meilleurs joueurs du monde aux côtés de grands noms tels que Puskás, Pelé, Gento, Kubala ou encore Germano dans l’équipe mondiale idéale établie par le World Soccer Magazine.

Les années suivantes, 1970, 1980, ont connu l’arrivée continue et croissante en Belgique de joueurs issus de différentes régions du continent. Le talent des joueurs d’origine africaine s’est de plus en plus affirmé et ancré dans la tradition du football belge. Cet ancrage s’est manifesté par la sélection de Dimitri Mbuyu chez les Diables rouges en 1987. Cependant, à partir des années 1980, le championnat belge qui va se faire dépasser par ses concurrents italiens, anglais, français, allemand et espagnol, va devenir la rampe de lancement pour plusieurs joueurs africains. Ceux-ci vont s’appuyer sur leur expérience belge pour connaître des carrières internationales brillantes tant en club qu’en équipe nationale.

Les frères Mpenza (Émile et Mbo) prolongèrent la tradition congolaise au sein de l’équipe nationale belge. Leurs prestations époustouflantes à Mouscron et sous les ordres de Georges Leekens, puis au Standard de Liège leur ouvrirent les portes de l’antre des Diables rouges. Les frères Mpenza furent sans doute les premiers Belges d’origine congolaise à s’exporter vers de grands clubs européens, Mbo au Sporting Lisbonne et à Galatasaray, Émile à Schalke 04, Hambourg et Manchester City notamment. Aujourd’hui, des joueurs tels que Christian Benteke, Romelu Lukaku, Gaby Mudingayi ou encore Pelé Mboyo continuent de perpétuer ce lien particulier entre le Congo et la Belgique au niveau footballistique. Ces joueurs congolais ou belges d’origine congolaise, logiquement, sont fort présents dans le palmarès du Soulier d’ébène : Émile Mpenza, Nzelo Lembi, et plus récemment Vincent Kompany, Romelu Lukaku et Dieumerci Mbokani. Ce dernier, il faut le souligner a fait étalage de sa classe et a mis d’accord tous les observateurs du football belge au point d’être le premier Congolais à remporter le Soulier d’or récompensant le meilleur joueur de Belgique en 2012.

Le plat pays, rampe de lancement pour une carrière internationale brillante des Africains : l’exemple des Nigérians et des Ivoiriens.

Lors de son récent passage dans l’émission de la RTBF « La Tribune », l’ancien joueur brésilien du Standard, André Cruz, louait la polyvalence du championnat belge. Il affirmait qu’un joueur étant passé par la Belgique pouvait par la suite, avec l’expérience engrangée, évoluer plus facilement dans les championnats européens plus huppés. Ce constat a été longtemps vrai pour les joueurs africains et continue à l’être encore aujourd’hui.

Au début des années 1990, on voit pointer à l’horizon une équipe nationale nigériane très prometteuse, composée de jeunes talents pleins de fougue et d’ambition. Mais à la coupe du monde 1990, ces jeunes pousses ne sont pas encore prêtes et ce sont les vieux briscards camerounais qui brillent lors de la plus prestigieuse des compétitions en Italie. Cette équipe nationale va exploser dès 1994 en atteignant les 8e de finales de la coupe du monde aux États-Unis et en remportant le tournoi olympique à Atlanta. Saviez-vous que la Belgique n’est pas étrangère à cette progression fulgurante ? En effet, aguerris par le championnat belge, plusieurs joueurs nigérians vont se distinguer lors de ses compétitions et évoluer par la suite dans de grands clubs européens. Il n’est donc pas étonnant qu’à ses débuts, dès 1992, et pendant les cinq éditions suivantes, le Soulier d’ébène soit trusté par ces stars nigérianes : Daniel Amokachi du FC Bruges en 1992 et 1994 qui évoluera ensuite à Everton et Besiktas ; Victor Ikpeba du RFC Liège en 1993 qui jouera à Monaco et au Bétis Séville ; Godwin Okpara de l’Eendracht Alost en 1995 qui portera les couleurs du PSG et Celestine Babayaro d’Anderlecht en 1996 qui arpentera durant de longue années le couloir gauche des clubs anglais de Chelsea et de Newcastle United. Ces quatre joueurs seront pendant des années des pions essentiels au sein des Super Eagles – équipe nationale du Nigeria – grâce notamment à leur passage en Belgique. Le championnat belge aura également bénéficié en retour de leur talent prodigieux.

L’Afrique du nord n’est pas en reste des contacts avec la Belgique. Commencée tardivement certes, l’influence mutuelle entre les pays du septentrion africain et la Belgique ne cesse de grandir dès la fin des années 1990 et surtout le début des années 2000. Cette présence nord-africaine se manifestera par le sacre de l’Égyptien Ahmed Hossam Mido en 2001 pour le Soulier d’ébène et du Marocain Mbark Boussoufa en 2006, 2009 et 2010. L’empreinte de ce dernier sur le championnat belge sera considérable puisqu’il sera lauréat du Soulier d’or en 2010. Aujourd’hui, on retrouve au sein des Diables rouges cette marque nord-africaine avec des joueurs comme Marouane Fellaini (soulier d’ébène en 2008), Nacer Chadli ou encore le tout jeune Zakaria Bakkali.

Après la profonde influence nigériane, le pays africain qui aura une histoire d’amour footballistique particulière avec la Belgique sera la Côte-d’Ivoire. Cette histoire d’amour sera incarnée par l’aventure fructueuse initiée par l’entraîneur français Jean-Marc Guillou avec comme éléments constitutifs le club de Beveren (Waasland-Beveren aujourd’hui), la célèbre académie du club ivoirien de l’ASEC Mimosas « Mimos SIFCOM » et des jeunes qu’il y a formés. Une aventure avec de jeunes joueurs qui laisseront un souvenir impérissable en Belgique tant leur technique, leur jeu chatoyant et attachant, mais aussi leur insouciance parfois nuisible au jeu auront marqué plus d’un. On se souviendra encore de cette formation de Beveren jouant parfois avec 10 Ivoiriens sur le terrain !

Comme pour les Nigérians, la Belgique aura plus que jamais joué son rôle de rampe de lancement pour ces jeunes joueurs. Dans leur cas, ce rôle aura un caractère plus marqué puisque les clubs belges seront pour tous le premier challenge européen. On citera entre autres Kolo et Yaya Touré, désigné durant ces trois dernières années meilleur joueur d’Afrique par la Confédération Africaine de Football, Bakari Koné, Emmanuel Éboué, Siaka Tiéné, Arthur Boka, Koffi Ndri Romaric, Gervinho, ou encore Boubacar Barry Copa, actuel gardien de Lokeren. Ces jeunes joueurs permettront à Beveren d’accéder à la finale de la coupe de Belgique en 2004 et la phase de groupes de la coupe UEFA la saison suivante. En dehors de la colonie de Beveren, une petite minorité de ces joueurs formés à l’ASEC débuteront leur aventure européenne dans un autre club belge, Didier Zokora à Genk et Aruna Dindane à Anderlecht. La réussite de l’attaquant anderlechtois couronnera cette présence ivoirienne en Belgique. En effet, il sera sacré Soulier d’or en 2003.

En choisissant d’ailleurs de faire jouer les Diables rouges en match amical contre les Éléphants de Côte-d’Ivoire, Marc Wilmots ne cache pas que les liens créés par ces joueurs avec la Belgique auront pesé dans sa décision4.

Une longue tradition d’entraîneurs belges en Afrique

La Belgique entretient avec l’Afrique une longue tradition d’entraîneurs tant au niveau des clubs qu’au niveau des équipes nationales. Celui qui porta récemment haut les couleurs belges en Afrique fut aussi celui qui obtint le résultat le plus significatif. Paul Put emmena lors de la dernière Coupe d’Afrique des Nations les Étalons du Burkina-Faso en finale contre le Nigeria, une finale perdue. Il est également le premier entraîneur à emmener les Burkinabés en barrages des éliminatoires pour la coupe du monde au Brésil. Des barrages malheureusement soldés par une élimination contre l’Algérie. L’Algérie que Georges Leekens aura entraînée en 2003. D’autres entraîneurs connurent diverses fortunes dans différents pays africains. Eric Gerets avec le Maroc, René Taelman avec le Bénin et le Burkina-Faso, Jean Thissen avec le Togo, etc.

L’avenir radieux des relations footballistiques belgo-africaines : le symbole des Diables Rouges.

L’équipe nationale n’aura jamais compté autant de joueurs d’origine africaine que dans cette génération qui disputera la coupe du monde au Brésil : Vincent Kompany, Romelu Lukaku, Christian Benteke, Moussa Dembélé, Marouane Fellaini, Nacer Chadli, Zakaria Bakkali, Pelé Mboyo, Gaby Mudingayi… Ces joueurs incarnent aujourd’hui l’excellence des relations entre l’Afrique et le football à travers leurs prestations et leurs apports au sein des Diables. Tous représentent valablement la Belgique et portent fièrement ses couleurs à l’étranger où l’on ne cesse de louer leurs qualités. Ils représentent pour tous les Africains vivant en Belgique, et plus particulièrement pour les jeunes générations, une certaine fierté à travers ce qu’ils apportent au pays dans lequel ils vivent.

L’Afrique continuera de jouer un rôle essentiel dans le football quand on jette un œil sur la génération des Espoirs mais aussi des moins de 18 ans qui frappent aux portes de l’équipe nationale : Junior Malanda, Michy Batshuayi, Paul-José Mpoku, Brice Ntambwe, Igor Vetokele, Charly Musonda Junior et d’autres encore. Le championnat belge continue et continuera d'accueillir des joueurs africains qui viennent s’épanouir en Belgique pour pouvoir alimenter en retour le football africain au niveau international.

Les relations entre la Belgique et l’Afrique sur le plan footballistique ont donc de beaux jours devant elles et ne cesseront de fructifier.

Source : http://www.lenouvelafrique.net/pg.php?id_news=1029