Article publié le 2020-09-22 par Innocent Sossou Dossier
Dossier Les défis de la jeunesse africaine - La jeunesse africaine face à l’entreprenariat
Photo par Suad Kamardeen / Unsplash

La jeunesse africaine face à l’entreprenariat

La prise de conscience s’impose

Par Innocent Sossou

Face au manque d’emploi ou à la sous-employabilité des jeunes dans les fonctions publiques africaines, de nombreuses initiatives sur le continent tentent de booster et encourager les jeunes à entreprendre. La mayonnaise commence à prendre.

En Afrique, l’entreprenariat bouge. L’emploi des jeunes aussi. Grâce aux différentes initiatives des partenaires techniques et financiers, avec l’appui des gouvernements, de nombreux projets et initiatives visent à accroître la capacité des jeunes africains à entreprendre. Opérant dans le cadre de l’Initiative mondiale pour des emplois décents pour les jeunes, le projet financé par le gouvernement du Luxembourg en Afrique de l’Ouest a démarré en septembre 2018, visant à résoudre le problème de l’emploi des jeunes dans la région. Le projet vise à favoriser l’efficacité et l’extension des mesures prises au niveau des pays en faveur du travail décent pour les jeunes par le biais de partenariats multipartites, de politiques fondées sur des données probantes et de la transposition à plus grande échelle d’interventions efficaces et novatrices. L’objectif principal est d’améliorer la création et l’accès à l’emploi décent pour les jeunes, à travers une coopération et une capacité régionale renforcée ainsi que des connaissances approfondies des dynamiques et défis actuels en Afrique de l’Ouest. De plus, un projet pilote sera établi au Burkina Faso, pour tenter de transformer la formation professionnelle actuelle vers un modèle qui rejoint les six éléments clés d’un système d’apprentissage de qualité mis de l’avant par le Bureau International du Travail (BIT).

Innover dans l’approche

Le problème de chômage chez les jeunes existe partout, mais il est particulièrement alarmant sur le continent Africain. En plus du manque d’emplois de qualité, les jeunes subissent les problèmes liés à l’extrême pauvreté, la montée de l’extrémisme sur divers fronts ainsi que les effets négatifs des changements climatiques. Il ne faut pas oublier non plus la croissance démographique rapide, une éducation inadéquate et les problèmes de migration. Les défis sont donc nombreux, particulièrement dans région du Sahel, et nous croyons qu’un projet qui se focalise sur la qualité des compétences acquises par les jeunes à travers un apprentissage de qualité, même à petite échelle, a le potentiel d’influencer positivement les problèmes d’inadéquation des compétences apprises en formation versus celles requises sur le marché du travail. Une main d’œuvre qualifiée, impactera positivement les problèmes énumérés plus haut. Par exemple, des jeunes formés en tant qu’électriciens pourront éventuellement travailler sur des emplois verts, notamment avec des matériaux renouvelables ou pour mieux exploiter l’énergie solaire et ainsi minimiser l’impact des changements climatiques.

L’OIT possède une vaste expérience sur l’amélioration des compétences et la question de l’emploi des jeunes. Plusieurs programmes ont été et sont toujours en cours d’exécution sur le continent ; notamment des projets qui mettent en œuvre divers programmes actifs et passifs d’emplois, des projets pour améliorer les compétences techniques et/ou entrepreneuriales des jeunes, des programmes d’insertion au marché du travail, etc. Pour le projet pilote au Burkina Faso, le guide de l’OIT sur les apprentissages de qualité (Volume I) sera l’outil de référence. Les six éléments clés de ce guide serviront de structure pour le développement de nos actions : un dialogue social constructif, un cadre réglementaire solide, une définition claire des rôles et responsabilités de chacun, des mécanismes de financement équitables, une forte adéquation du système au marché du travail et un système inclusif, et ouvert à tous.

Premières étapes

Mettre en place un nouveau projet, peu importe le thème et les objectifs à accomplir, requière un temps d’analyse, de discussions et consultations avec les parties prenantes pour permettre un état des lieux juste et des actions ciblées pouvant avoir un maximum d’impact. Notre projet n’est pas différent. Nous avons recruté une équipe locale de consultants pour faire une analyse complète de la formation professionnelle dans le secteur sélectionné, bâtiments et travaux publics (BTP), pour comprendre les dynamiques, ainsi que les forces et faiblesses du système actuel et pour pouvoir mieux cibler les besoins et développer un projet pilote pertinent au contexte local tout en appuyant les agences gouvernementales à mieux restructurer leurs politiques de formation professionnelle. Pour la composante globale du projet, plusieurs événements de haut niveau auront lieu au cours de la première année, pour renforcer les connaissances, partager ces connaissances et renforcer la coopération régionale des acteurs impliqués sur la question de l’emploi des jeunes ainsi que les systèmes d’apprentissage de qualité. Au niveau du Burkina Faso, la première année du projet est dédiée à l’analyse de l’état des lieux, de la conceptualisation du projet pilote, la création des partenariats, la formation des formateurs et l’amélioration des matériaux pédagogiques dans les métiers sélectionnés, pour ensuite aller de l’avant avec la formation. En parallèle, un travail sera fait au niveau de la gouvernance, pour améliorer les connaissances et capacités du gouvernement à mettre en place des apprentissages de qualité.

Sur la question, des avancées considérables ont été faites pour encourager l’entreprenariat des jeunes en Afrique mais les jeunes restent encore confrontés à de nombreux obstacles. Parmi ces obstacles, on peut citer : l’attitude de la société à l’égard de l’entrepreneuriat, le manque de compétences, l’insuffisance de la formation à l’esprit d’entreprise, le manque d’expérience professionnelle, l’absence de fonds propres, l’absence de contacts et barrières inhérentes au marché, les formalités sont plus lourdes et plus longues, le coût de démarrage, le capital minimum obligatoire et le manque d’accès aux informations particulièrement pertinentes pour les activités entrepreneuriales. Des politiques visant à éduquer la société et notamment les parents qui sont souvent peu informés des exigences et des perspectives de l’entrepreneuriat à la culture entrepreneuriale ainsi qu’à informer les jeunes qui ont ou qui désirent créer leur entreprise sur toutes les formalités à remplir et sur l’existence des programmes publics dédiés à l’amélioration de la productivité de leur entreprise faciliterait la création d’entreprise par beaucoup de jeunes.

Développer la culture entrepreneuriale

Ces dernières années, la solution proposée par les gouvernements et les organisations internationales pour réduire le chômage des jeunes est la promotion de l’entrepreneuriat dont celle agricole (Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement [CNUCED], 2014). Brooks et al., (2012) et Kararach et al., (2011) révèlent que seule l’agriculture peut être une source stable d’emploi dans les économies fortement dépendantes de l’agriculture à court et moyen terme. Sur la question de l’entreprenariat, il faut noter que les pays développés ont une avance considérable par rapport aux pays de l’Afrique. Au Québec par exemple, une étude menée sur l’entreprenariat a montré que plus de la moitié de la population avait une vision positive de l’entrepreneuriat et 62,6 % pensaient que créer sa propre entreprise était le meilleur choix de carrière (Centre de Vigie et de Recherche sur la Culture Entrepreneuriale [CVRCE], 2011). Dans l’étude, les jeunes sont ceux chez qui la culture entrepreneuriale était la plus développée car 38,3 % d’entre eux préfèrent choisir l’entrepreneuriat comme choix de carrière. Dans certains pays d’Afrique comme la Tunisie, la culture entrepreneuriale est relativement plus développée chez les jeunes car de plus en plus d’entre eux se lancent dans l’entrepreneuriat. Dans les zones urbaines, environ 13,1 % des jeunes hommes travaillent indépendamment tandis qu’en zone rurale, l’effectif tend à la baisse avec une proportion de 7,9 % (Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement [BIRD], 2014). Une étude menée en Zambie en 2002 a montré qu’environ un quart des jeunes avaient créé leur propre entreprise dans le secteur du commerce et des services (Chigunta, 2002). Malgré tout, le chômage des jeunes constitue un réel défi à relever pour les autorités zambiennes. En 2008, 63 % des 15 à 19 ans et 48 % des 20 à 24 ans de jeunes des zones urbaines vivaient au chômage. Chaque année, près de 300 000 jeunes intègrent le marché du travail apathique où les perspectives d’emploi se font rares et où le fort taux de chômage génère des tensions politiques et économiques dans tout le pays (Perspectives Économiques en Afrique [PEA], 2012). Ces statistiques mettent en lumière les difficultés liées à la mise en œuvre des politiques de promotion de l’entrepreneuriat des jeunes. Le dispositif mis en place ne fonctionne certainement pas comme il le faut. Les initiatives de promotion et de développement des entreprises par les jeunes ne produisent pas le fruit escompté. Cela amène à se poser la question suivante : qu’est ce qui empêche le passage des jeunes de l’Afrique à l’acte entrepreneurial ?

Faire de l’entreprenariat une priorité de développement

Le débat autour de la contribution de l’entreprenariat à la création d’emplois et à la croissance a été évoquée dans la littérature économique ces dernières années, car on estime qu’entre 1 % et 6 % des emplois créés l’ont été par des nouvelles entreprises (Organisation de Coopération et de Développement Économiques [OCDE], 2010). Ainsi, pour juguler les problèmes de poussée démographique et du chômage des jeunes qui ne cesse d’augmenter, de nombreux pays ont fait de l’entreprenariat une priorité de développement. La jeunesse est mieux instruite que la cohorte de leurs parents car elle a une facilité à comprendre les nouvelles technologies (Amorós ; Bosma et Global Entrepreneurship Research Association, 2014). Conscient du fait que la jeunesse représente donc un atout de développement important, plusieurs pays ont mis en place des politiques et des programmes en faveur des jeunes entrepreneurs. Cette volonté de faire de l’entreprenariat des jeunes une priorité de développement s’est matérialisée par exemple par l’introduction dans l’enseignement secondaire, la formation à l’entreprenariat dont les pays africains ont été les précurseurs. Ainsi, en Angola, 139 enseignants ont suivi une formation certifiée dans ce domaine et ont formé 9 800 étudiants. La création d’entreprises à part le fait qu’elle permet aux jeunes au chômage de sortir de la précarité et de s’insérer dans la société peut également avoir des effets positifs sur la croissance économique car, les jeunes entrepreneurs sont particulièrement actifs dans les secteurs à forte croissance (Youth Business International et Global Entrepreneurship Monitor, 2013). Une étude a montré que les jeunes qui travaillent pour leur propre compte sont plus épanouis socialement que leurs pairs et plus enclins à recruter d’autres jeunes (Simpson et Christensen, 2009), ce qui crée des conditions propices à une dynamique créatrice d’emplois. De même, les jeunes travailleurs indépendants ont plus de facilité que les jeunes au chômage d’accéder à un emploi rémunéré dans un délai de trois ans (Listerri et al., 2006). Dans ces conditions alors, l’Équipe spéciale sur l’emploi du G-20 (2013) pense qu’il est donc nécessaire d’appuyer l’offre de mesures en faveur de l’entreprenariat des jeunes car en offrant la possibilité aux jeunes de créer leur propre entreprise et en les aidant à réussir en tant qu’entrepreneurs, on les retire non seulement du marché du travail mais aussi on leur offre la possibilité d’en retirer d’autres en les recrutant.

 

Fonds multi donateurs pour l’entrepreneuriat et l’innovation des jeunes : le YEI Trust Fund

Qu’est-ce que c’est ?

Un fonds spécial pour appuyer la nouvelle génération d’Africaines et Africains entrepreneurs et novateurs

 

Le Fonds multi donateurs pour l’entrepreneuriat et l’innovation des jeunes (Youth Entrepreneurship and Innovation Multi-Donor Trust Fund en anglais – YEI Trust Fund en abrégé) est un fonds d’affectation spécial lancé en novembre 2017, sous les auspices de Jobs for Youth in Africa (« Des emplois pour les jeunes en Afrique »), une initiative de la Banque africaine de développement qui a vu le jour en 2016, dans la droite ligne de ses priorités High 5.

Le Fonds pour l’entrepreneuriat et l’innovation chez les jeunes entend aider à concrétiser les objectifs de l’initiative Des emplois pour les jeunes en Afrique : créer, d’ici à 2025, 25 millions d’emplois et doter 50 millions de jeunes en âge de travailler (hommes et femmes) des compétences requises, et ainsi les aider à rejoindre le secteur formel.

Le Fonds fiduciaire, étant géré par le Département du capital humain, de la jeunesse et du développement des compétences, a reçu une contribution initiale du Danemark et de la Norvège en 2017. Aujourd’hui, le Fonds a atteint près de 40 millions de dollars d’engagements et accueille les Gouvernements suédois, néerlandais et italien comme donateurs complémentaires.

 

 

Pour quoi faire ?

Donner aux jeunes africaines et africains les compétences de demain et les moyens d’innover

 

La démographie de l’Afrique, riche d’une jeunesse nombreuse et dynamique, est l’un de ses plus grands atouts. À condition, toutefois, de savoir répondre à l’ampleur des enjeux, aussi riches d’opportunités prometteuses que de défis complexes : chômage, système éducatif, emplois, montée des inégalités.

Si l’on investit à bon escient dans le capital humain que constituent nos jeunes, l’Afrique subsaharienne verrait son PIB s’enrichir de 500 milliards de dollars par an pendant 30 ans, selon le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP).

Aujourd’hui, plus que jamais, il nous faut donc libérer le potentiel économique des jeunes entrepreneurs et innovateurs du continent, afin de créer des millions d’emplois de qualité et promouvoir une croissance économique inclusive sur tout le continent.

Objectif dudit fonds : renforcer l’écosystème de l’emploi et de l’entreprenariat des jeunes en Afrique. Ce, en finançant les programmes d’incubation, d’accès aux financements, d’études et de réformes qui favorisent le développement de start-ups innovantes créées et dirigées par de jeunes africains.

 

Comment ça marche ?

— Lancé et géré par la Banque africaine de développement, ce fonds d’affectation spécial est piloté par un comité de surveillance et un comité d’examen technique.

Composé des bailleurs de fonds, le comité de surveillance se réunit une fois par an a minima pour statuer sur le programme de travail du Fonds et d’autres documents opérationnels.

Le comité d’examen technique est quant à lui composé de membres issus de différents départements de la Banque dont le mandat englobe le soutien aux jeunes et à l’entrepreneuriat en Afrique.

— Pour mieux appuyer les jeunes entrepreneurs innovants en Afrique, le Fonds pour la promotion de l’innovation et de l’entrepreneuriat des jeunes finance le Challenge Prize qui, tous les ans, distingue les 20 meilleures PME/start-up africaines créées et dirigées par des jeunes – notamment des jeunes femmes. Un financement est offert aux lauréats.

Un premier appel à propositions sera publié avant la fin de l’année 2018, à l’adresse des PME désireuses de concourir à la première édition du Challenge Prize.

Hormis dans le cadre du Challenge Prize (voir supra), qui octroie un financement direct aux meilleures PME innovantes du continent, le Fonds pour la promotion de l’innovation et de l’entrepreneuriat des jeunes offre une aide financière aux jeunes entrepreneurs à travers des partenaires. Les dons sont alloués à des structures spécialisées et à l’expertise avérée dans l’accompagnement et le financement des jeunes entrepreneurs en Afrique.

 

 

Qui peut bénéficier du Fonds ? Comment y prétendre ?

Trois types de structures en Afrique peuvent prétendre à des financements du YEI Trust Fund et donc répondre à ses appels à proposition :

— Les structures de soutien aux entrepreneurs et aux PME – incubateurs de start-ups et accélérateurs d’entreprises, institutions financières (banques, agences de crédit, fonds de garantie) – spécialisées dans le financement et le mentorat de PME.

— Les centres de recherche agréés – indépendants ou rattachés à des universités – qui ont vocation à faire émerger des solutions innovantes et adaptées au contexte africain, et à l’expertise avérée dans la conduite d’études et de recherches sur l’entrepreneuriat des jeunes.

— Les organismes étatiques concernés par l’emploi, l’entrepreneuriat et les jeunes peuvent bénéficier d’une assistance technique, qui leur permette d’aider leurs gouvernements respectifs à réformer efficacement leur législation, afin d’encourager l’entrepreneuriat et la création d’emploi.

Si le fond a vocation à s’adresser aux PME des 54 pays d’Afrique, l’année 2018 le verra accorder la priorité à une demi-douzaine de pays classés parmi les États fragiles ou à fort potentiel migratoire.

Pour de plus amples informations, veuillez contacter JfYA_Group@afdb.org