Article publié le 2019-12-05 par Daouda Émile Ouédraogo Editorial
Ne réinventons pas la roue
LNA 133 - Novembre 2019

De nombreux siècles après la « décolonisation de l’Afrique », se pose avec acuité le renvoi des œuvres d’art culturelles africaines détenues par les pays colonisateurs. Seulement en France, on estime à 88 000, le nombre des objets d’art provenant de l’Afrique subsaharienne. Après avoir célébré les indépendances, les pays africains ont réclamé aux différents pays colonisateurs, de leur rendre ce qui les appartient. De tractations en tractations, de faux-fuyant en entourloupe, les pays colonisateurs commencent à avouer du bout des lèvres la nécessité de donner à César, ce qui appartient à César. Le président français Emmanuel Macron lors de son discours à l’Université Ouaga 1 Joseph Ki-Zerbo, le 29 novembre 2017, avait affirmé que les objets d’art des africains devaient trôner dans leur musée et non dans celui du quai Branly à Paris. Après ces discours qui ont suscité de l’espoir dans le tréfonds des cœurs africains, la promesse tarde à se concrétiser. L’on est en droit d’interpeller les uns et les autres sur la nécessité de tenir leur engagement pour différentes raisons. Primo, les œuvres d’art africaines appartiennent aux Africains. Donc, refuser de remettre ce qui a été pris aux africains est de la spoliation. Secundo, ces objets ont toujours de la signification dans les différentes cultures d’origine. Mieux, ils représentent à plus d’un titre le sacré et, participent à la régulation de la vie en société. Tertio, les capitales et les villes africaines regorgent de moyens et de compétences muséales à même de recevoir ces vestiges de notre histoire. Quarto, le retour de ces œuvres sur leur terre natale, contribuera à développer le tourisme sur le continent. En outre, cela favorisera le développement des études des œuvres d’art sur le continent. À la lumière de ces différentes raisons, il ya lieu de remuer ciel et terre pour demander aux pays détenteurs des objets d’art africains de faire œuvre de justice. Ces pays rendront justice à ce continent tant meurtri par l’esclavage et le pillage de ses ressources. Ils feront œuvre utile en rendant à l’humanité ce qu’ils ont arraché aux peuples africains. Le retour des œuvres d’art africaines sonnera la révitalité de la culture africaine que l’on a longtemps considérée comme inerte. Elle est plus que vivante. Car, comme en témoigne Kwamé Nkrumah, l’un des pères fondateurs du panafricanisme dans son Discours d’inauguration de l’Institut d’études africaine à l’Université du Ghana – Legon en 1962 :« Nous étions encore considérés comme la représentation même de la race humaine à son enfance. On a dit de notre culture hautement sophistiquée qu’elle était simple et paralysée par l’inertie, et nous devions donc être encombrés d’une tutelle ». Depuis la nuit des temps, des peuples et des dirigeants ont menti à d’autres peuples. Des hommes et des femmes épris de justice, de sincérité, qui avaient placé la relation humaine au-dessus du matériel ont été grugé et berné. Ils ont écrit leurs vérités dans les livres pensant que l’on ne les verrait pas. Après tant d’années, l’africain a lu ces vérités, a compris leur histoire, leur mode de fonctionnement. À la sueur des artistes africains, joignons la voix du silence qui parle et décrit notre histoire à travers la richesse des œuvres d’art africaines. La culture est ce qui nous reste lorsque nous avons tout perdu, dit l’auteur. Les grandes nations ont mis un point d’honneur à valoriser leurs cultures et leurs institutions, l’Afrique doit valoriser sa culture pour mieux donner un sens à ses institutions. En Afrique, l’art se conjugue avec le sacré. Les œuvres d’art n’échappent pas à cette réalité. Que ce soit dans l’Afrique antique, ou dans celle contemporaine, l’art africain transcende le temps et l’espace pour décrire et incruster dans le marbre les vérités cachées. Ces vérités sont une mine d’or pour la jeunesse africaine en quête de repère et en quête d’identité. Ne pas rendre, hic et nunc, les objets d’art africains aux africains, c’est leur nier le devoir d’écrire et de continuer à écrire des pans entiers de leur histoire. Alain Foka aime à le dire « nul n’a le droit d’effacer une page de l’histoire d’un peuple car un peuple sans histoire, est un monde sans âme ». À César, ce qui est à César et aux Africains ce qui est aux Africains.