Article publié le 2019-02-20 par Alexandre Korbéogo Dossier
Dossier Ghana - économie / Secteurs des services - Le Ghana bat la Chine
Nana Akufo-Addo visite le FPSO Kufuor avec Claudio Descalzi CEO d'Eni. Par Eni (CC BY-NC 2.0)

Ce fut l’onde de choc dans les milieux économiques. Le Ghana a décidé de se passer de l’aide économique du Fonds Monétaire international (FMI) pour se développer. Avec une croissance économique remarquable en 2017, le Ghana, pays situé en Afrique de l’Ouest surprend par ses performances. L’exploitation du pétrole, couplé avec celle de l’or a permis de booster l’économie du pays. Accra espère maintenant gagner des milliards de dollars grâce à son pétrole. Bien plus, le Ghana bat la Chine dans le secteur des services. Oser lutter, savoir vaincre…

Le pays de Nana Akufo-Addo, du nom du Président de la République, ne badine pas sur les moyens pour mettre en branle la machine du développement. Le Ghana s’est récemment imposé comme un pays producteur de pétrole. La première découverte d’un gisement date de 2007 sur le champ pétrolifère offshore de Jubilee. L’exploitation a pu démarrer en un temps record dès la fin 2010, soit dans un délai de 42 mois. La production au Ghana s’élevait en 2014 à 104 000 barils par jour (bpj) contre 99 000 en 2013. C’est désormais le 4ème producteur de pétrole sur le Golfe de Guinée derrière le Nigeria, la Guinée Équatoriale et le Gabon. Et, selon un rapport publié en 2016 par la banque panafricaine Ecobank, à l’horizon 2020, le Ghana pourrait bousculer la hiérarchie et se classer quatrième plus important producteur de pétrole brut en Afrique sub-saharienne avec une production totale de 240 000 b/j. Ceci grâce à la mise en production de nouveaux champs en offshore et l’optimisation de la capacité de production de certains autres champs. Le champ de Jubilee est aujourd’hui le principal lieu de production. C’est un champ offshore situé à 60 km des côtes ghanéennes à une profondeur moyenne de 1,5 km, à cheval sur les blocs Deepwater Tano et West Cape Three Points. Tullow Ghana Limited (UK, 35,5% des parts) est l’opérateur principal pour le compte d’une joint-venture également composée de Kosmos Energy (USA, 24,1%), Anardarko (USA, 24,1%), Ghana National Petroleum Corporation (13,6%) et PetroSA (AfSud 2,7%). L’exploitation se fait par une unité flottante de production, de stockage et de déchargement (FPSO). Technip a obtenu plusieurs importants contrats pour le développement de ce champ. Le pétrole produit est de bonne qualité, léger, peu soufré et riche en gaz associés. Il se négocie quasiment aux prix du brent sur les marchés internationaux. Les réserves seraient comprises entre 800 M et 1,2 Mrd de barils, 1/5 e aurait déjà été exploité à ce jour.

Objectif 2025

La production sur le champ de Tweneboa Enyenra et Ntomme (TEN) situé à l’ouest de Jubilee sur le bloc Deep Water Tano, plus près de la frontière avec la Côte d’ivoire, a démarré en 2016. Son plan de développement a été approuvé par le Ministère de l’Énergie en 2013. Tullow en sera l’opérateur principal pour le compte de Kosmos Energy, Anadarko, GNPC et PetroSA. En pic, la production devrait se situer entre 70 000 et 80 000 bpj. L’exploitation se fera également par FPSO. L’Américain General Electric a remporté un contrat de 850 M USD pour la fourniture de machineries et d’équipements sous-marins sur le site.

Début 2015, l’Italien Eni, Vitol et la GNPC ont trouvé un accord avec le gouvernement ghanéen sur le développement du champ de Sankofa situé dans le bloc Offshore Cape Three Point (voir carte jointe). Le montant prévisionnel de l’investissement s’élève à 7 Mrd USD pour un projet d’exploitation jointe de pétrole et de gaz. La production devrait démarrer en 2017 pour atteindre entre 40 000 et 80 000 bpj selon les différentes estimations. Eni Ghana sera l’opérateur principal sur le projet (47,2% des parts) en partenariat avec Vitol (37,8%) et GNPC (15%).

L’objectif fixé par le gouvernement ghanéen est d’atteindre un niveau de production de 250 000 bpj d’ici 2021. Cet objectif est réaliste compte tenu du développement des projets. D’autres projets d’exploration sont en cours impliquant notamment Hess Corporation (USA), Vanco (USA) et Lukoil (Russie). Le Ghana ne sera cependant jamais un grand pays producteur comme le Nigeria (2 M bpj). Les experts estiment que le pic de production sera atteint autour de 2020/2025.

Un success story

Le Ghana est un « success story » en Afrique sub-saharienne. Ce pays affiche non seulement une stabilité politique qui tranche sur le continent africain, mais il a aussi développé l’une des économies les plus dynamiques d’Afrique. « Par rapport à ses pairs d’Afrique sub-saharienne, le Ghana a accompli des gains économiques significatifs depuis le retour à la démocratie en 1992 », souligne Michael Fini, analyste en géopolitique à la Financière Banque Nationale dans une récente note sur ce pays de 25 millions d’habitants. En 2012, le Ghana a enregistré une croissance économique de 7 %, soit supérieure à la hausse moyenne des économies émergentes asiatiques, de 6,5 %, selon le Fonds monétaire international. Et si le Ghana fait moins bien que la Chine (son PIB a cru de 7,8 % l’an dernier), son secteur des services est toutefois plus développé que celui de l’Empire du milieu. L’an dernier, ce secteur pesait pour la moitié de l’économie du Ghana par rapport à 45 % en Chine, selon les estimations de la CIA, l’agence américaine du renseignement. En revanche, le secteur de l’agriculture représente le cinquième du PIB ghanéen. Le pays est d’ailleurs le deuxième producteur mondial de cacao. L’agriculture joue traditionnellement un rôle primordial dans l’économie ghanéenne : le secteur représente à lui seul 45% des emplois du pays. Cependant, avec le début de l’exploitation pétrolière à partir de 2010, l’industrie a pris une place plus importante dans l’économie du Ghana. En 2014, le poids de l’agriculture dans le PIB était estimé à 22% contre 28,4% pour le secteur secondaire. Avant 2010, le secteur primaire représentait plus de 30% de l’économie ghanéenne. L’agriculture résiste cependant bien au ralentissement économique que connaît actuellement le pays : 4,6% de croissance en 2014 contre 0,9% pour l’industrie (-0,4% pour la production manufacturière). Le cacao et ses produits dérivés sont le 3ème poste d’exportation du pays derrière l’or et le pétrole brut. En 2014, les exportations se sont élevées à 2,6 Mrd $, soit 19,8% du montant total pour l’année. Néanmoins, le Ghana a une balance commerciale déficitaire pour de nombreux produits alimentaires de base qui font pourtant l’objet d’une production locale : -421 M $ pour le riz en 2013, -316 M $ pour le poisson, -200,4 M $ pour la viande de poulet. L’autosuffisance alimentaire n’est ainsi pas encore assurée, et le montant total des importations de produits alimentaires est estimé à 1,5 Mrd $ pour 2014.

Voitures et téléphones

Le dynamisme du secteur automobile dans ce pays est d’ailleurs un signe de prospérité économique, souligne Micheal Fini. Depuis 2007, le nombre de propriétaires de voitures a bondi de 87 %. La moitié de la population possède aussi un téléphone cellulaire. Ce dynamisme est contagieux, car il incite des Ghanéens instruits expatriés à retourner au bercail pour y travailler. Ces jeunes contribuent ainsi à la croissance économique du pays. Même si elle demeure modeste, la classe moyenne s’élargit rapidement au Ghana. Elle forme 20 % de la population, soit cinq millions de consommateurs. Malgré tout, Exportation et développement Canada (EDC) estime que les meilleures occasions d’affaires pour les entreprises se trouvent dans les secteurs de la construction et des infrastructures, de l’électricité, des mines et des métaux, de même que du pétrole et du gaz naturel. « Le secteur des infrastructures est particulièrement dynamique, dit Diane Belliveau, directrice régionale, Afrique, chez EDC. Le pays doit notamment construire des routes, des écoles, des hôpitaux. » Dans le secteur minier, la société canadienne Kinross Gold Corporation exploite un gisement d’or dans le sud-ouest du pays. Pour sa part, la firme américaine Aecom Technology (ingénierie, gestion de projets, etc.) est active dans le secteur du gaz naturel. Il y a aussi des projets pour produire de l’électricité à partir de centrales thermiques et de centrales hydroélectriques. La Chine finance certains de ces projets par la China Development Bank et la China Exim Bank. «Le financement des projets énergétiques représente tout un défi pour le gouvernement», précise Diane Bélliveau d’EDC.

Ghana : Nana Akufo-Addo, un président qui s’émancipe

A Accra, le chef de l’État s’est distingué en prenant de la distance avec le FMI et les financements occidentaux. Un discours porté par ses bons résultats économiques.

Les bonnes surprises surgissent parfois là où on ne les attend pas. Qui aurait pu penser que Nana Akufo-Addo, l’actuel président du Ghana, petit pays de l’Afrique de l’Ouest anglophone, deviendrait, à 73 ans, la nouvelle icône des réseaux sociaux africains ? Avec son visage de bon grand-père de famille, affublé de petites lunettes rondes, Nana Akufo-Addo, élu il y a tout juste un an, après deux échecs aux présidentielles, n’a pas a priori le profil type du dirigeant révolutionnaire ou romantique prêt à renverser la table. Pourtant, par la grâce de deux discours et d’une décision surprenante, il a enflammé la Toile qui ne cesse de se partager les vidéos de ce leader, décidé à rompre avec «l’image de mendicité de l’Afrique».

Un mot d’ordre qui a trouvé sa traduction concrète la semaine dernière : le 8 février, le chef de l’État ghanéen a annoncé sa décision de ne plus souscrire un nouvel emprunt auprès du Fonds monétaire international (FMI), une fois l’accord en cours arrivé à échéance, en avril. Sur le thème du « non merci, nous pouvons nous débrouiller tout seuls », Akufo-Addo estime que son pays n’a plus de « raison de s’appuyer sur cette institution internationale », qui offre de l’argent frais à tant de pays du continent. Mais en échange de mesures drastiques d’assainissement des finances qui passent souvent par des coupes dans les dépenses publiques.

Firmament

Le dernier accord entre le FMI et le Ghana a été conclu par son prédécesseur et a permis au pays de bénéficier d’un prêt de 918 millions de dollars (744,4 millions d’euros). Avant d’être élu, Akufo-Addo a fait campagne sur la promesse de remédier à la mauvaise gestion des deniers publics et l’endettement du pays. C’est désormais possible, selon l’actuel président, qui table sur une croissance de 8,3 % cette année, l’une des plus fortes du monde, boostée par la production des hydrocarbures et les ressources minières. « Tous les indicateurs [sont] au vert », a souligné le chef de l’État, qui ne manque jamais une occasion de remercier gentiment « ces nobles bailleurs qui nous soutiennent » tout en rappelant qu’il préfère se passer d’eux. C’est ce qu’il avait expliqué dans les deux discours qui l’ont propulsé au firmament des réseaux sociaux.

Sa première sortie remarquée remonte à fin novembre, lors de la tournée africaine d’Emmanuel Macron. Après un passage au Burkina Faso, puis en Côte-d’Ivoire, le président français s’était rendu quelques heures au Ghana. Sans se douter qu’il allait se faire voler la vedette par Akufo-Addo, jusqu’alors peu connu sur la scène internationale. Alors que ses homologues burkinabé et ivoirien se contentaient de laisser à Macron toute latitude pour développer sa vision de l’Afrique, le ton change radicalement à Accra, où le président ghanéen prononce, lui, un long discours. Avec une courtoisie malicieuse, Akufo-Addo va renverser les rapports de subordination qui consistent à plaider systématiquement pour un accroissement de l’aide occidentale à l’Afrique. « Cela ne marchera pas, cela n’a jamais marché », souligne-t-il d’emblée. « Notre responsabilité est de trouver un moyen de développer nos pays nous-mêmes », poursuit-il, rappelant alors les atouts d’un continent qui dispose de « 30 % des ressources mondiales de minerais », mais aussi de « la plus jeune population du monde ». Sur le pupitre voisin, Macron semble ne plus savoir sur quel pied danser. Ce n’est plus lui qui donne sa vision de l’Afrique, c’est un Africain qui invite le continent à prendre ses responsabilités et à couper le cordon ombilical.

«Audacieuses»

Le 3 février à Dakar, lors de la conférence sur l’éducation en Afrique, à laquelle participe aussi Emmanuel Macron, Akufo-Addo remet le couvert : « Nous ne pouvons pas dépendre des autres pour financer l’éducation de nos pays ».  Et de fustiger la corruption et la fuite des capitaux qui minent le continent : « Depuis dix ans, 50 milliards de dollars sont envoyés chaque année hors d’Afrique à des fins illicites. Pouvons-nous imaginer ce que nous aurions pu faire avec de telles sommes ? ». Une fois de plus, la vidéo de son discours devient virale.

Dans les pays voisins, on souligne « la tonalité singulière de ce Président », selon les termes d’un intellectuel ivoirien, qui fait pâlir l’étoile de ses homologues africains. Au Ghana, « il rassemble autour de lui un très large consensus, souligne à Libération l’universitaire Evans Aggrey Darko. Ses idées ont pu sembler un temps utopiques. Mais une fois élu, il a immédiatement pris des décisions audacieuses, comme d’instaurer la gratuité de l’enseignement secondaire et de créer un poste de procureur indépendant pour lutter contre la corruption ».

Un temps moqué pour avoir apparemment plagié certains propos de Barack Obama lors de son discours d’investiture, Nana Akufo-Addo semble désormais avoir trouvé son inspiration et son combat.

Maria Malagardis

Source : Liberation.fr