Article publié le 2015-11-07 par Par Mouhamadou Moustapha Thiam Société
Les albinos en Afrique - 28 pays africains à la première conférence panafricaine sur l’albinisme [09/2015]
Kinshasa, RD Congo, Journée internationale de sensibilisation à l’albinisme : Une jeune fille albinos avec sa maman à Kinshasa. En RDC, on estime à plus de 7 millions le nombre de personnes albinos, malheureusement celles-ci font souvent l’objet de discriminations en raison de leurs différences. Photo MONUSCO/Abel Kavanagh

Les personnes atteintes d’albinisme, une dépigmentation génétique de la peau, des cheveux et des yeux, sont souvent la cible de discriminations dans le continent africain. Selon des données de l’Organisation Mondiale de la Santé, son incidence varierait de 1 sur 5 000 à 15 000 en Afrique subsaharienne. Une première conférence panafricaine sur l’albinisme va regrouper la Banque Mondiale et 28 pays africains en novembre prochain à Dar-es-Salaam en Tanzanie.

Dans nos sociétés d’Afrique, la vie n’est jamais facile notamment pour les personnes atteintes d’un handicap. Souvent exclues, mises à l’écart, leur intégration sociale est difficile, car cette différence qui les caractérise lorsqu’elle est rapportée à un terme référent, à une prétendue normalité, en fait des personnes à part et hors norme. On constate qu’en Afrique le fait d’être blanc est signe de richesse et que la dépigmentation volontaire de la peau chez les africains est une pratique courante et acceptée, notamment en Afrique de l’Ouest. Mais être né blanc avec des traits négroïdes n’est-il pas acceptable ? Marque d’une étrangeté, l’albinos est couramment défini comme « un être blanc aux yeux rouges » auquel on attribue diverses croyances. Mais cette maladie à l’origine de nombreux handicaps chez ses porteurs, semble surtout méconnue et incomprise. Ainsi, l’ignorance de sa définition scientifique a eu pour corollaire l’éveil de préjugés et discriminations qui rendent difficile la vie de ces personnes. Cette maladie génétique transmise par les deux parents, indépendamment de l’appartenance ethnique, est un phénomène encore profondément mal compris. La naissance d’un enfant albinos a très souvent un fort impact psychologique sur sa famille qui déclenche la plupart du temps un sentiment de honte, de mépris et de rejet, allant parfois jusqu’à l’infanticide. L’impact causé par la naissance d’un enfant blanc dans une famille noire a également des conséquences sur l’enfant albinos. Première victime de ce rejet familial et communautaire, il ne pourra jamais être considéré comme « normal » alors qu’il est visiblement « anormal ». Cette anomalie pèsera sur la construction de son identité, et l’acceptation de sa différence.

Collecte de données délicate

Selon des données de l’Organisation Mondiale de la Santé, son incidence varierait de 1 sur 5 000 à 15 000 en Afrique subsaharienne. En Tanzanie, certains estiment qu’un habitant sur 19 est porteur du gène. La collecte de données sur les albinos reste délicate puisque bon nombre d’entre eux sont contraints de vivre cachés par crainte d’être stigmatisés. Mais l’Afrique n’est pas le seul continent concerné par ce phénomène, que l’on retrouve partout ailleurs : en Europe et en Amérique du Nord, 1 habitant sur 17 000 à 20 000 souffre d’une forme d’albinisme. Charlotte McClain-Nhlapo, conseillère à la Banque Mondiale pour les personnes handicapées et organisatrice de la table ronde et de l’exposition de photos de Jacquelyn Martin, avec le soutien de Marina Galvani, responsable du programme artistique de la Banque Mondiale, l’affirme : « Nous avons pu ainsi aborder la question des formes extrêmes d’exclusion. Les personnes atteintes d’albinisme n’ont pas à être exclues simplement parce qu’elles ne ressemblent pas aux autres. Ce sont des acteurs du changement qui ont beaucoup de choses à apporter à la société ». La discussion, une vidéoconférence entre Washington (États-Unis), Pretoria (Afrique du Sud), Lilongwe (Malawi), Dar-es-Salaam (Tanzanie), Nairobi (Kenya) et Bamako (Mali) a permis de mettre en lumière des résultats et des solutions. Sajjad Ali Shah, coordonnateur des opérations de la Banque Mondiale pour la Tanzanie, a suggéré d’établir un lien plus dynamique entre cette question et les programmes actuellement déployés par l’institution en Tanzanie. « Nous avons mis en place deux programmes pour la santé et l’éducation, afin d’améliorer l’accès et la qualité des services dans le pays. Nous avons aussi un programme de protection sociale », explique-t-il. « Quand nous nous intéressons à un problème comme l’albinisme, nous avons tendance à l’aborder sous l’angle de notre politique de sauvegarde et à rejeter toute discrimination à l’encontre des personnes atteintes par cette maladie. Ce n’est pas suffisant. Nous devons aller beaucoup plus loin ».

Certaines nouvelles sont cependant encourageantes : le 13 juin, les Nations Unies ont lancé la première Journée internationale de sensibilisation à l’albinisme, pour rendre hommage aux personnes atteintes d’albinisme et mieux faire connaître leur calvaire. Peu après cet événement, Ikponwosa Ero, avocate et agent de sensibilisation pour l’ONG canadienne Under the Same Sun, a été nommée par le bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme « experte indépendant sur l’exercice des droits de l’homme des personnes atteintes d’albinisme », une fonction nouvellement créée. Lors de la table ronde, elle a souligné que la première conférence panafricaine sur l’albinisme se déroulerait le 28 novembre 2015 à Dar-es-Salaam, avec 28 pays africains, constituant la « plus importante réunion à ce jour sur cette question ». La reconnaissance lente mais progressive des droits des personnes atteintes d’albinisme fait donc également partie des signaux encourageants.

98% meurent d’un cancer

Jon Beale, directeur exécutif de Standing Voice, une ONG britannique militant pour mettre fin aux violations des droits humains des groupes marginalisés, a évoqué le travail de son association en Tanzanie où, selon les estimations, 98 % des victimes meurent d’un cancer de la peau avant leur 35e anniversaire. Lui aussi avait de bonnes nouvelles à partager : avec des organisations partenaires, Standing Voice distribue des écrans solaires (fabriqués au Kilimandjaro), des vêtements protecteurs, des chapeaux à larges bords et des informations vitales sur les risques de cancer de la peau et les mesures de prévention pour les personnes atteintes d’albinisme. Dans certaines des régions de Tanzanie visées par ce programme, l’incidence du cancer de la peau a chuté de 83 %. La photojournaliste Jacquelyn Martin a fait un travail très utile à la cause. Avec ses images saisissantes, elle raconte de manière poignante la lutte quotidienne des personnes atteintes d’albinisme en Tanzanie. Mais elle nous donne aussi un message d’espoir à ces personnes atteintes d’albinisme.