Article publié le 2014-03-11 par Japheth Omojuwa, libreafrique.org Economie
Nigeria Passer de la croissance au développement [09-10/2013]
Aéroport de Lagos, Nigeria © Juliana Rotich

Le Nigeria constitue l’une des raisons pour lesquelles le discours sur l’Afrique a changé, passant du pessimisme à «l’Afrique qui se lève». Les sessions sur l’Afrique du Forum économique mondial qui vient de s’achever au Cap, en Afrique du Sud, ont dévoilé les raisons pour lesquelles l’Afrique est entrain de faire l’expérience d’un autre paradigme que celui de sa période de «continent sans espoir».Une grande partie des débats sur le Nigeria et l’Afrique se concentre sur «là où nous en sommes» par comparaison à «là où nous étions». Mais il est important de préciser qu’il serait nettement plus instructif et productif de comparer ces chiffres de croissance à «la où nous devrions être».

Le Nigeria a connu une décennie de croissance économique soutenue, mais on y trouve toujours la réalité déroutante d’une pauvreté crasse. Voilà qui donne à réfléchir : les nigérians ne sont pas mieux lotis aujourd’hui qu’ils ne l’étaient avant. Il y a un gouffre, une déconnexion, entre la montée en flèche des fortunes du pays et la vie même des personnes à qui la croissance économique doit habituellement profiter. Il y a quelque chose de fondamentalement erroné dans la manière dont nous nous développons en tant que nation. Cela est effrayant en soi. Mais ce qui l’est encore davantage est le fait que ceux qui devraient être plus savants – les responsables de l’État – continuent à se vanter de chiffres superficiels de croissance annuelle, les faisant passer pour des indicateurs de leur réussite. Comme si la pauvreté que nous voyons se maintenir avec la croissance faisait partie du projet. Comme si nous n’étions pas censés nous en offusquer. Nous pouvons faire mieux. Il existe des moyens pour faire que cette croissance change réellement la vie.

Il n’y a pas de voie unique pour le développement économique. Mais la croissance inclusive, qui influe sur la vie de la majorité de la population, sera toujours celle qui permet la participation de la population dans l’économie.

De ce point de vue, toute voie qui n’inclut pas l’agriculture comme élément majeur pour l’économie du Nigeria se résumera à un effort futile. En 2020, le monde comptera neuf milliards de bouches à nourrir. Nous pouvons devenir son grenier à grain. Nous avons fourni le pétrole dans un monde obsédé par le pétrole, mais le pétrole n’a à aucun moment rendu notre peuple prospère. Si nous répondons aux besoins du monde en nourriture comme nous l’avons fait pour ses besoins énergétiques, nos populations y gagneront. La raison est simple : la production de pétrole au Nigeria est un système de rente.

Indépendamment de combien nous élevons notre production, l’industrie du pétrole, de par la manière dont elle fonctionne à ce jour, n’est pas là pour créer des emplois pour les nigérians. Il s’agit d’une industrie à forte intensité capitalistique, de machines et de plates-formes. Elle est conçue pour générer du cash pour l’État, les multinationales et quelques individus.

À la différence de l’industrie pétrolière

L’agriculture s’avère beaucoup plus intéressante du point de vue des chiffres. Alors que l’industrie pétrolière nécessite souvent un niveau de savoir-faire technique qui n’est généralement pas disponible localement, l’agriculture représente une compétence naturelle de notre peuple. Nous devons faire tout notre possible pour permettre que nos agriculteurs produisent avec de meilleurs rendements grâce à des semences améliorées et un meilleur accès aux engrais. Nous devons prêter attention aux besoins des femmes agricultrices. Trois agriculteurs kényans sur quatre sont des femmes et les chiffres pour le Nigeria ne seraient pas très éloignés. Cela signifie que si nous contraignons nos agricultrices, nous limitons notre accès à la nourriture. Le ministre de l’Agriculture, le Dr Adesina, a fait des efforts visant à améliorer le sort des agriculteurs nigérians et améliorer la chaîne de valeur agricole, mais il faut aller plus loin. Oui, nous sommes très loin de là où nous nous trouvions. Mais encore plus loin de là où nous devrions être.

Il ne peut y avoir « Green Deal » au Nigeria aussi longtemps que nous gérons notre économie à l’ancienne, de manière inefficace. Que faisons-nous avec notre gaz par exemple ? Selon le bureau du Nigeria de la Fondation Heinrich Boell, nous laissons brûler une ressource qui pourrait nous aider à recueillir jusqu’à 7000mw d’électricité (par ce que nous perdons en méthane dans le gaz torché). Pourquoi ne pas développer un système efficace qui confie l’exploration au privé ? Et si nous nous reposions davantage sur le gaz, qui est environ 40% plus efficace que le pétrole et est moins nocif pour l’environnement ? Pour couronner le tout, les réserves en gaz du Nigeria sont au moins trois fois celles de nos ressources pétrolières. Nous avons des réserves de 80 milliards de mètres cubes de gaz naturel. Nous avons dépensé 13 milliards de dollars en alimentation de générateurs pour les ménages en 2011 seulement : il est temps de penser autrement. Quels seraient les chiffres pour les producteurs qui dépensent aujourd’hui environ 60% de leurs coûts de production en alimentation de générateurs ? Il y a certainement des moyens plus efficaces et beaucoup moins chers de produire de l’énergie.

L’Allemagne souhaite obtenir environ 35% de son énergie provenant de sources renouvelables d’ici 2020, 50% d’ici 2030, 65% d’ici 2040, et 80% d’ici 2050. Ce n’est pas un rêve fou parce que la quantité d’énergie provenant de sources renouvelables, notamment l’éolien, est passée de 20 à 25% sur le premier semestre 2012. Il y a des coûts de transformation de l’énergie, mais les avantages à long terme l’emportent largement sur les coûts.

Le Sahara en ligne de mire

L’Europe travaille déjà sur un plan pour que le désert du Sahara en Afrique fournisse environ 15% de ses besoins énergétiques à l’horizon 2050. En tant que peuple, nous sommes souvent tellement obsédés par le court terme que nous perdons de vue le long terme. Les coûts de l’inaction seront plus élevés que les avantages de la paresse d’aujourd’hui. La beauté des énergies renouvelables est que les maisons et les villages peuvent générer et transmettre leur propre énergie grâce par exemple à de petites turbines hydroélectriques et à l’énergie solaire. Nous avons plus qu’assez d’énergie solaire pour alimenter de nombreuses planètes terres et pourtant nous n’arrivons pas à la mettre à profit autrement que pour sécher nos vêtements.

De même, le monde aura besoin de la main-d’œuvre d’Afrique assez vite et le Nigeria sera naturellement le contributeur numéro un. L’Afrique aura plus de main d’œuvre que tout autre continent en 2040. La population active de la Chine vieillit. Le Nigeria et l’Afrique peuvent bénéficier de cette situation si la population est autonomisée grâce à un système nettement amélioré d’éducation. Le système du Nigeria fonctionne principalement dans la tradition coloniale. Les étudiants sont entraînés à régurgiter ce qu’on leur a enseigné plutôt que formés à penser. L’avenir des économies de la planète dépend de plus en plus de gens qui pensent. L’innovation est la clef.

On ne peut construire une maison sur du sable. Le Nigeria doit prêter attention au développement de ses infrastructures, plus que jamais auparavant. Le développement économique sera toujours limité par l’infrastructure disponible. Nous devons identifier des projets rentables et chercher une sorte de partenariat public-privé pour faire avancer les choses. Ce n’est pas sorcier : d’autres l’ont fait. Pourquoi pas nous, et même, en mieux ?