Article publié le 2013-07-23 par Par Noël KODIA Culture
ECRIVAINES D’AFRIQUE CENTRALE - « MIJI » (1) d’émilie-Flore Faignond : de l’autobiographie au romanesque [07-08/2013]
émilie-Flore Faignond © Jan Goovaerts

Trois femmes et un homme métis d’une même mère, elle-même métisse. Des enfants de pères différents constituant une fratrie dont Flore apparaît comme l’élément unificateur. Des enfants qui, avec leur mère, définissent l’étrange destin de Flore, personnage central du récit, s’étant mariée consécutivement à deux Européens, Lucas et Jean-Claude, voilà quelques pistes qui pourraient définir la trame de « Miji ».

Flore est une jeune et belle femme qui, après avoir souffert d’un premier mariage avec un homme qui lui laisse deux enfants en bas âge dans les bras, retrouve le bonheur de vivre quand le destin lui fait rencontrer Jean-Claude, un Belge qui travaille au Zaïre et qui lui donne un garçon quand ils sont encore dans cette grande ville africaine de Kinshasa des années 70. Mais quand le pays subit une secousse socio-économique à travers la politique de Mobutu qui voudrait favoriser l’émergence des cadres nationaux, l’amour de Flore et Jean-Claude échappe à l’éclatement. Son contrat de travail n’étant plus renouvelé, Jean-Claude décide de rentrer dans son pays natal avec Flore avec laquelle il s’est marié. Et les trois enfants de Flore doivent voyager avec leurs parents. Commence alors une nouvelle vie conjugale pour Flore qui a tant souffert avec Lucas. En Belgique, aux côtés des parents de Jean-Claude, de son frère et ses sœurs qui sont en France, Flore mène une vie agréable, surtout quand le couple s’installe près de Bruxelles à Soignies. Et c’est en Belgique que va naître le deuxième enfant de Jean-Claude, une petite fille appelée Samantha. Quant à maman Emma restée au pays, la nostalgie de tous ses enfants vivant à l’étranger, la pousse à rejoindre Flore en Belgique. Elle retournera un temps au pays à l’occasion de la mort de sa sœur. Mais entre temps, Flore a subi un coup désagréable : ses deux fils qui ont passé les vacances aux côtés de leur père, Lucas, n’ont plus de respect pour leur beau-père qui devient pour la circonstance violent et indifférent envers eux. Une fois de plus, le bonheur conjugal de Flore se transforme en enfer : Jean-Claude est «bousculé» par l’attitude négative de son fils, sa mère lutte contre un cancer et est guérie après un lourd traitement. Flore est «sauvée» du naufrage conjugal par les vacances en famille dans le sud de la France. De retour en Belgique, avec l’harmonie qui est revenue dans le foyer, elle revoit en souvenirs son passé d’enfant en Afrique à travers l’image des parents restés aussi bien à Léopoldville qu’à Brazzaville. Et à la fin du roman, Flore et Solange de se demander à quand de nouveau les retrouvailles des quatre enfants d’Emma. « Miji » pourrait se définir comme l’après-douleur de Flore avec un certain Lucas dans le premier roman de l’auteure intitulé « Afin que tu te souviennes ».

Flore: une femme et deux hommes.

Lucas est le premier homme qui fait découvrir à Flore la sexualité profonde, une sexualité qui se transforme en cauchemar. Aussi quelques années plus tard, quand elle tombe amoureuse de Jean-Claude, les tristes moments vécus avec Lucas lui reviennent à l’esprit : elle ne peut oublier le chagrin et les douleurs qu’il lui avait imposés. Ce dernier fait preuve d’un machiavélisme teinté de racisme quand il parle de leur petit enfant qui venait de naître : «Un macaque, un enfant de roturier qui va porter mon nom, mon nom à moi un descendant de Bourbon Parme» (p.37). Aussi, Lucas dans sa bestialité, se montre brutal avec Flore à certains moments de leur séparation de corps. Il la bat quand celle-ci se rend chez lui pour chercher l’argent pour soigner l’enfant malade, ce petit garçon qui ne peut supporter l’odieux spectacle : «Lâche ma maman (…) Sale type! Quand je serai grand, je te taperai. Méchant papa! Je ne t’aime plus!» (p.51). Flore, qui a tant souffert pour élever ses enfants auprès de Jean-Claude qui l’a remise sur le chemin du bonheur, retrouve, malgré elle, l’image maléfique de Lucas à travers ses enfants de retour des vacances chez leur père à Kinshasa. Celui-ci, par sa position matérielle et financière, a détruit la conscience des enfants qui s’en prennent à leur mère et à son mari qu’ils méprisent, car il est considéré comme étant à l’origine de la séparation de leurs parents. Aussi, Franck, le fils aîné de Flore, se révolte souvent contre Jean-Claude. Le bonheur conjugal de Flore bascule dans l’incertitude. Malgré toutes ces péripéties, Jean-Claude apparaît dans le roman comme le véritable amour de Flore, son “tisserand de l’espoir”, comme elle ne cesse de le déclarer tout au long du récit. Avec Jean-Claude, c’est le contraire de ce qu’elle avait vécu avec Lucas : «Jean-Claude “Son tisserand de l’espoir!”! Lui qu’elle considérait comme un sauveur. C’était lui qui avait tendu le fil d’Ariane qui l’avait enfin sortie avec ses fils du labyrinthe des larmes où l’avait entraînée Lucas» (p.23). Avec Jean-Claude, c’est le bonheur d’une mère de deux enfants acceptée par un homme décidé à reconstruire une nouvelle vie avec elle. Et la couleur de la peau de Flore, ainsi que les cicatrices de son premier mariage raté, n’empêchent pas Jean-Claude d’aimer Flore : « Tu es une femme de couleur (…). Veux-tu m’épouser, Flore? Je sais que tu as certainement très peur de t’engager une seconde fois par les liens sacrés du mariage…» (p.114). Avec Jean-Claude, s’ouvre une nouvelle page du destin de Flore qui apparaît comme une vengeance contre celle qui était écrite avec Lucas. Bonheur du couple avec la naissance du premier enfant de Jean-Claude, troisième garçon de Flore. Bonheur qui se poursuit en Belgique avec la naissance de leur fille, Samantha, et cela, malgré quelques relents de racisme plus ou moins remarqués du côté de quelques parents de Jean-Claude. Bonheur qui subit quelques secousses en raison du comportement négatif des enfants du premier lit de Flore de retour de leur séjour chez leur père. Mais les vacances passées en famille en France sauvent ce deuxième mariage de Flore, Son mari ayant repris son «comportement» d’avant.

«Miji», un roman «multidimensionnel»

En dehors du destin de Flore, que l’on peut définir à travers Lucas et Jean-Claude, plusieurs autres «histoires» tournent autour d’elle. Et celles-ci pourraient développer d’autres thématiques pertinentes dans le fil de la narration. La famille, pour l’héroïne, apparaît comme l’élément essentiel de son destin tant au niveau du terroir natal que celui de son pays d’adoption. La famille, chez Flore, est synonyme d’amour. Tous les parents (grands-parents, père, mère, frères, sœurs et enfants) occupent une grande place dans son cœur. Des êtres qu’elle présente aux lecteurs dans leur réelle «vie de chair et d’os» dans un espace-temporel qui rappelle ses origines des deux Congo. Dans ce roman où l’auteure et le narrateur omniscient semblent se superposer, le référentiel, au service de la fiction, est tellement accentué que le texte pourrait se lire comme un «témoignage de famille». C’est ce que révèle l’universitaire René Malu wa Koni sur la 4e de couverture du roman : «Lorsqu’il aura tourné la dernière page de ce livre, le lecteur saura que l’héroïne Flore avait une mission d’écriture à accomplir pour que jamais ne meurent les siens; tous ces êtres qui ont fait partie de sa vie». «Miji», c’est aussi le majestueux fleuve Congo qui a bercé l’enfance et l’adolescence de l’héroïne ; cet élément aquatique omniprésent dans son subconscient. Cet énorme serpent d’eau qui appartient à ses racines paternelle et maternelle : «Quel long chemin parcouru depuis cette petite enfance bercée par le chant d’un fleuve aux flots tapageurs» (p.344).

Pour conclure

Avec «Miji », se confirme la notoriété de l’écriture d’Emilie-Flore Faignond remarquée déjà dans son premier roman «Afin que tu te souviennes» où « certains personnages rappellent quelques réalités des deux Congo, un livre plein de poésie et se présentant comme une transposition fidèle d’une partie de la vie de l’auteure» (2). Et ce constat revient dans «Miji», une saga familiale qui ne dit pas son nom.

1. Emilie-Flore Faignond, Miji, Hibuscus Editeur, Belgique, 2008, 326p.
2. Noël Kodia-Ramata, Dictionnaire des œuvres littéraires congolaises. Ed. Paari, Paris, 2010, p.60