Article publié le 2013-01-16 par Par Cyrille Momote Kabange Chronique
« Delenda Carthago est » - (Il faut détruire Carthage) [01/203]
ruines de Carthage en 1950

Les rapports entre la République Démocratique du Congo et ses voisins ont toujours été tumultueux. La guerre froide y a contribué dès les années 60 dans le cas de l’Angola, lorsque le Congo, bien que sous la houlette de l’Occident, entreprit d’exercer une sorte de tutelle politico-morale sur un des mouvements nationalistes à la vision réformiste de la lutte contre la colonisation portugaise (F.N.L.A.).Il fut gêné aux entournures par un mouvement constitué en particulier des assimilados (évolués) dont la proximité avec les milieux des intellectuels portugais en rupture avec le système salazariste déterminera en grande partie l’orientation marxisante prise par ledit mouvement. C’est le Mouvement Populaire de Libération de l’Angola (M.P.L.A.).
Les querelles d’égos ont surfé sur le matelas idéologique téléguidé de l’étranger entre des leaders antagonistes aspirant aux mêmes objectifs.
A l’indépendance de l’Angola en 1975, le M.P.L.A. a raflé la mise, appuyé lourdement par l’Union Soviétique et Cuba. Dans le camp adverse, les Américains s’étant aperçus de leur méprise avaient voulu remettre l’église au milieu du village. Ils se mirent derrière Savimbi, un transfuge du F. N.L.A. dont la stature d’homme politique ne fut pas à contester mais à laquelle il avait manqué apparemment la dimension de rassembler. Les intérêts géopolitiques des Américains ayant trouvé un autre objet pour se manifester à la suite de la chute du mur de Berlin, il fut sacrifié au profit de ses pires ennemis et disparut en 2002. Une fois encore, le Congo-Zaïre pâtit des ambiguïtés de sa politique étrangère qui firent que le régime au pouvoir à Luanda se lança dans une course au leadership régional aux dépens d’une entente diplomatique que dictaient, pourtant, une proximité géographique (2 600 km), un entrecroisement des ressources minières de première importance, des populations consanguines d’un côté comme de l’autre des frontières. Conçu dans l’esprit des responsables angolais comme l’homme à abattre, le président Mobutu eut à subir deux guerres dans des régions névralgiques du Shaba camouflées sous le paravent d’une escarmouche des gendarmes katangais réfugiés, depuis des lustres, en Angola et qui tenteraient un retour forcée sur leur terre natale ! L’estocade lui fut donnée en 1997, lorsque les rebelles de Laurent Désiré Kabila obtinrent des Angolais qu’ils les aident à briser le dernier verrou vers Kinshasa défendue par les troupes d’élite de l’armée zaïroise, sous prétexte d’un droit de poursuite à exercer en représailles à la participation au combat, en faveur de Kinshasa, des éléments de l’armée de Savimbi qui utilisaient cette zone dans la région de Bandundu comme base arrière.

L’imbroglio rwandais

Les péripéties actuelles du conflit rwando-congolais tiennent le bout d’un contexte qui justifie la métaphore d’un géant aux pieds d’argile. Des jambes rachitiques surmontées d’un tronc immense, outre qu’elles indiquent une anomalie physique, ne font peur qu’aux enfants.
Aucun peuple ne peut survivre s’il n’a pas les moyens de se défendre. Dans un monde où l’homme est un loup pour l’homme, le rêve n’est pas de faire la paix à n’importe quel prix mais de faire la guerre et de la gagner. «Si vis pacem, para bellum» (Si tu veux la paix, prépare la guerre). Cet exemple souvent cité est puisé dans les guerres puniques qui se sont produites au 3e siècle ACN entre Carthage, petit État fondé par les Phéniciens sur le littoral méditerranéen dans la Tunisie actuelle, et la grande Rome aux prises avec ses démons intérieurs.
Les deux villes devenues rivales avec un enjeu majeur pour l’époque, à savoir le contrôle du trafic commercial en Méditerranée, eurent à en découdre plusieurs fois entre 264 et 164 ACN. Affaiblie par les luttes de pouvoir et de graves distorsions entre classes sociales, la République romaine voit ses prérogatives grignotées, Sénat et armée perdent, pour le premier, son rôle central que lui conféraient les patriciens, pour la seconde, son caractère public, les factions politiques entretenant chacune des milices armées dont les membres furent pour la plupart des mercenaires. En face, les Carthaginois conduits par un général de premier plan, Hannibal, trouvent des soldats décontenancés et sans commandant d’égale valeur. Sur deux fronts au moins, les Romains sont vaincus et ridiculisés. A Rome, le moral fut longtemps mis en berne. Il y eut toutefois, au sénat, un Romain de bonne naissance, répondant au nom de Scipion, qui entreprit de mobiliser ses compatriotes. Il ne réclamait pas moins que la destruction de Carthage : «Delenda Carthago est !». Son incantation au sénat fut d’une régularité telle que finalement, l’auguste assemblée prit le parti de la guerre totale avec des moyens conséquents à l’appui, et confia au neveu de l’héraut, le général Scipion dit l’africain, le commandement en chef de la campagne de Zama en 202 ACN, remportée par l’intéressé. Son petit-fils, Scipion Émilien, mit fin à la série des guerres puniques en détruisant effectivement Carthage.

Après les affres de la énième guerre des Kivu, les protagonistes principaux présentent les mêmes contours déséquilibrés. Un Rwanda, minuscule État arrimé au flanc du colosse congolais, telle une sangsue, et un Congo écrasé comme dans la Rome antique sous le poids de ses contradictions, c’est le pot de terre contre le pot de fer. Seulement voilà ! Un faisceau de dysfonctionnements touchant le secteur de la défense et de la sécurité lamine la force de frappe d’une armée qui n’a pas toujours été inefficace, mais qui a été à son tour victime des choix politiques des vingt dernières années. Dès lors, les voisins rwandais pouvaient prendre le risque de se compromettre avec les hommes du M23, étant donné les rapports de force qui prédominent et encastrent les développements à la fois diplomatiques et sécuritaires dans cette région où s’entrecroisent les intérêts des mafias locales et le parti-pris de certains décideurs étrangers (politiciens ou agents économiques). Les choses sont claires en ce sens lorsqu’on apprend que l’ambassadeur des USA à l’ONU, Mme Susan Rice, a poussé celui de France au bord de la crise diplomatique en déclarant cyniquement sans ambages au diplomate français qui se préoccupait des sourdines mises sur certains éléments de texte du rapport de l’ONU relatif à l’interventionnisme rwandais dans les événements du Kivu : «N’y comptez pas ! Ce n’est que le Congo ! Si cela n’avait pas été le M23, cela aurait été un autre mouvement insurrectionnel». (Propos rapporté par Michel Colomes qui cite le magazine américain Foreign affairs {http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/michel-colomes/susan-rice-provoque-la-zizanie-entre-paris-et-washington-13-12-2012-1566324_55.php}.

Autres temps, autres mœurs

Les déclarations faites le 17 décembre dernier par le président Kabila dans un discours devant des parlementaires (chambre des représentants et sénat) inspirent un rapprochement avec la situation connue il y a 22 siècles. Après avoir cité nommément le Rwanda, ce qu’il n’a jamais fait auparavant, le Chef de l’État a utilisé la même filière de mobilisation des populations prises en tenailles à la fois par l’incohérence des dénégations des autorités rwandaises et l’attentisme du pouvoir de Kinshasa. Cette fois-ci, le ton rappelait Scipion, à la différence près que l’appel de M. Kabila à défendre la République est légitime, celui de «détruire le Rwanda» n’est pas pensable. Autre temps, autres mœurs, en effet.