Article publié le 2012-09-11 par Par Cyrille Mamate Kabange Chronique
l’Europe, la R.D.C. à l’épreuve de la vérité [07/2012]
Christine Lagarde, Directrice générale du Fonds Monétaire International (FMI) © Sebastian Derungs/ World Economic Forum

Les derniers jours du mois de mai 2012 en Europe ont vu les caprices de la météorologie déferler sur un quotidien déjà chargé de contrariétés existentielles. Le temps très instable qui s’est imposé comme une fatalité n’était pas étranger au spleen général des populations coincées entres les incertitudes de l’avenir et une crise qui aggrave le sentiment du non sens de la vie.

Pour expérimenter la tragédie des malheurs à répétition (ceux-ci ne viennent jamais seuls), prenons plusieurs exemples qui se sont produits en Europe. La province d’Émilie en Italie, écrasée par la crise de la dette à laquelle se rattachent les mesures drastiques de réduction du déficit des finances publiques (1500 milliards d’euros) prises par le gouvernement Monti, a dû en outre affronter les secousses sismiques à répétition en l’espace seulement de deux jours. Rien n’exprime mieux cet enchaînement fatidique avec les conséquences que l’on devine : plusieurs morts et des destructions massives.

La Pologne est devenue la pierre d’angle

En France, les intempéries qui ont dévasté quelques zones agricoles et viennent peser sur l’option de relance économique par la croissance compliquent davantage l’équation de la politique de François Hollande entre son programme électoral prévoyant de donner à l’État les moyens d’agir en face des problèmes sociaux qui s’accumulent, et l’exigence de réduction des dépenses publiques aux dires de ses contradicteurs. Élargie à l’ensemble de l’Europe, cette conjoncture montre que la vérité procède autant du mythe de la Caverne de Platon que la trop connue maxime de Blaise Pascal : «Vérité au-delà des Pyrénées, erreur en deçà». Elle n’est souvent pas dans les mains de ceux qui pensent la détenir. Il en est ainsi du drame grec au sujet duquel madame Christine Lagarde, Directrice générale du Fonds Monétaire International (FMI), proféra des récriminations prises par toute la nation hellénique comme une injure. Madame Lagarde n’a pas pu confirmer par la suite ce qu’elle a considéré comme «sa» vérité au sujet de la culpabilité des Grecs dans ce qui leur arrive. Elle a dû revoir son jugement.

De même, en ce qui concerne un des volets du sauvetage de l’euro et de la manière de remettre sur les rails les économies des pays de l’Union européenne frappée par l’endettement, on constate le manque de compétitivité de la plupart des entreprises, à l’exception de la Pologne pourtant raillée hier par les bien-pensants. Un vocable a même été forgé en guise de stigmatisation : le ‘plombier polonais’. A une certaine époque, la mauvaise image de la Pologne tombait sous le sens ! Aujourd’hui, ce pays fait partie des rares pays européens qui ont un taux de croissance qui dépasse les 3%. «Vérité en amont, erreur en aval.» Quand les locomotives européennes ont sorti leurs calculettes pour se livrer à des opérations comptables dignes d’épiciers, les Polonais, eux, boivent du petit lait.

Par ailleurs, on a retrouvé la même réalité dans le revirement opéré par l’engeance des économistes ou des hommes politiques prétendument experts en gestion de crise, lorsqu’ils pontifiaient, à la suite d’Angela Merkel, que la seule voie de sortie possible serait de briser le cou aux dépenses publiques. Ils ont presque tous révoqué leurs sentences, à l’exception de l’Allemagne. Cette nation se réfugie dans une posture purement idéologique en refusant la mutualisation de l’endette- ment des États grâce à la création d’un organisme de financement des dettes (Euro-bond) et des mécanismes de régulation du monde capitaliste.

Refondation du capitalisme, mission impossible


Les Allemands sont bien seuls dans cette résistance aux aménagements à apporter aux défectuosités du capitalisme. Il y eut autrefois le cri d’orfraie de Nicolas Sarkozy qui a frappé d’anathème un système capitaliste qui deviendrait de plus en plus immoral. Les experts s’y mettent à présent et parlent, pour leur part, de refonder le capitalisme. C’est le cas de l’économiste et anthropologue français, Paul Jorion, (cf. Le Monde du mercredi 25 avril 2012) qui écrit : «Il y a trois ans et demi, dans son discours de Toulon, Nicolas Sarkozy, Président de la République française (l’article a été écrit avant la présidentielle N.D.L.R.), expliquait ce qu’il convenait de faire pour sauver nos systèmes économique et financier : refonder le capitalisme. Le plan proposé était cohérent mais, dans le contexte d’effondrement généralisé d’alors loin d’être véritablement radical, il y avait encore, dans cette proposition de ‘refondation’ du capitalisme, un relent d’optimisme. Qu’en est-il advenu ? Rien. C’est à Toulon qu’elle a été évoquée et c’est là aussi qu’il en a été question pour la dernière fois. (…) Serait-ce que l’économie et la finance ont connu une telle embellie depuis l’automne 2008 que ce projet refondateur a perdu de son actualité ? La question prête à sourire. En 2010, la Grèce était au bord de l’abîme – petite économie nationale que la solidarité européenne aurait pu alors sauver à peu de frais. Aujourd’hui, ce sont l’Espagne, voire l’Italie qui s’y retrouvent.»

L’auteur s’étend ensuite sur les causes supposées de l’apathie qui a suivi le discours de l’ancien Président français : la tiédeur des propositions concernant cette refondation, notamment dans son volet qui touche aux banques, c’est-à-dire à l’argent. Deux propositions de l’économiste ont retenu l’attention :

- mettre hors la loi la spéculation en rétablissant les articles de la loi française qui l’interdisaient jusqu’en 1885 ;

- mettre hors d’état de nuire les paradis fiscaux en interdisant aux chambres de compensation de communiquer avec eux dans un sens comme dans l’autre.

Il est possible qu’il n’y ait que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Mais il vaut mieux prévenir que guérir. A l’appui de cet aphorisme, voyons la crise économico-financière qui est partie des dysfonctionnements des banques. Il aurait fallu prendre acte de telles dérives et surtout ne pas envisager un sauvetage de ces institutions financières au dé- triment de la vulgate libérale. En ce moment, M. Barnier, influent ancien ministre français de droite, a fait son chemin de Canossa et revient sur les fondements du capitalisme en proposant que les banques ne puissent bénéficier à l’avenir de l’aide des états pour se renflouer. Mais cela sera-t-il possible ? N’est-ce pas une annonce sans lendemain ? La refondation du capitalisme, wait and see. Justement, l’Espagne est au plus mal et appelle l’Europe à l’aide, chose qu’elle s’est dé- fendue de faire jusqu’à présent de peur d’être confondue avec la Grèce. Lui prêtera-t-on de l’argent, quitte à l’aligner ainsi sur la Grèce, d’autant qu’une des plus grandes banques espagnoles est au bord de la faillite ? La vérité, toujours elle, qui ne se manifeste que dans la lumière crue des faits et s’échappe par la gauche lorsqu’on veut la retenir par la droite.

Un jeu de poker menteur

En R.D.C., un jeu de poker menteur est en cours au Nord-Kivu entre les protagonistes du conflit armé, le nième depuis belle lurette. Cette fois, le Rwanda jette le masque par le biais de son ministre des affaires étrangères, et accuse la Monusco en termes peu diplomatiques d’irresponsabilité. Celle-ci qui n’est pas exempte d’ambigüité en d’autres occasions n’a pas fait dans la dentelle : le Rwanda a bel et bien été un soutien important de la mutinerie des soldats fidèles à Bosco Ntaganda, un jeune officier aux origines douteuses, et dont la présence au sein de la hiérarchie de l’armée congolaise est le fruit d’un marchandage surréaliste.

Le gouvernement central que préside M. Joseph Kabila Kabange, répugnant à un affrontement direct avec le Rwanda, force une entente cordiale et obtient de ses interlocuteurs la fin de leur tutelle sur un groupe de mutins d’origine tutsie mais se réclamant d’une hypothétique nationalité congolaise, scellant enfin une paix bien provisoire…

Les forces armées congolaises sont en pleine restructuration avec, comme épicentre, le brassage des effectifs hétéroclites dont ceux qui appartiennent à la milice d’un certain Nkundabatware qui fera, lui en particulier, les frais de la raison d’état, tandis que son proche lieutenant, Ntaganda, est catapulté au sommet de la hiérarchie militaire en qualité de général de division. Il dirigera la circonscription militaire du Nord-Kivu à l’endroit même où il combattait hier en rebelle l’armée de laquelle il fait désormais partie.

Pourtant, la vérité s’insinue dans cet échafaudage bancal, et en démonte les contours vermoulus par la vermine des mensonges répétés. Peut-être cet épisode qui découvre la complexité des intérêts tissés par les protagonistes de la guerre du Kivu en débrouillera-t-il finalement l’écheveau ? Pourvu que l’arrestation de Bosco Ntaganda soit effective et son transfert à La Haye aussi. En attendant, nous nous en tenons aux propos apparemment ingénus de la Ministre des Affaires étrangères du Rwanda, lors d’une interview accordée à «Jeune Afrique» en juin 2012 : «Regardons les choses en face. Bosco Ntaganda n’est pas recherché par le Congo, mais par la Cour Pénale Internationale». Pourquoi pas ? La R.D.C. n’est-elle pas souveraine pour demander la saisine de la C.P.I. lorsqu’elle s’estime lésée par des actes ignominieux commis sur son territoire ? A moins que la Ministre ne veuille exprimer par ce langage subliminal le désarroi du régime rwandais au regard de la volte-face d’un partenaire qu’il croyait sous contrôle ?