Article publié le 2012-09-11 par Entretien réalisé par Hilaire HUBERT Culture
Amel Alaoui - styliste de la Maison de couture AML-Création - «AML-Création n’a pas de limite» [07/2012]
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Née en Belgique et d'origine marocaine, Amel Alaoui, 33 ans, a développé dans ses collections l'art du mariage de différentes cultures. Dans cet entretien, elle décrit son style dans sa diversité et son originalité.

Le nouvel Afrique (LNA) : De quelle région du Maroc venez-vous, Mademoiselle Amel Alaoui?

Amel Alaoui (AA) : Je suis née en Belgique, dans la région bruxelloise. Ma famille vient de Fès qui a la réputation d'être la ville de l'artisanat où sont réalisés les plus beaux caftans. Les couturiers de Fès travaillent en général des matériaux de haute qualité et ont des finitions fines et précises.

LNA : Vous avez réussi dans vos collections à marier deux cultures qui sont celles du Maghreb et celle de l'Occident. Cela vient-il de votre éducation?

AA : Mes créations ont toujours été francomarocaines. Lorsque j'ai commencé mes premiers modèles, il y a plus de 10 ans, je trouvais que tous les caftans se ressemblaient. La coupe était toujours la même ; le pire pour moi, était que le caftan était toujours réalisé avec des tissus lourds et chauds et que les manches étaient très larges, ce qui ne mettait pas la femme en valeur.
De ce fait, lorsque j'avais un évènement, j'avais peu de plaisir à en porter.
J'ai donc décidé de réaliser mes propres "Robes" qui ont rapidement eu du succès. Dès le début, mes clientes me faisaient remarquer qu'elles avaient beaucoup de plaisir à porter mes créations à la coupe plus cintrée, légères et agréables.
Je ne puis vous dire si c'est le mélange de cultures qui influence mon inspiration, mais je me suis dit, bien avant que le caftan n’évolue : pourquoi la Femme maghrébine n'auraitelle pas le droit d'avoir des tenues souples et légères avec des coupes "Robe du Soir" ?

LNA : En 2008, vous participez au défilé haute couture marocaine et orientale "CAFTAN 2008" à Casablanca dans la catégorie jeunes stylistes. Quatre ans plus tard, vous êtes installée au pied de l'hôtel Conrad, place Wiltcher's, dans un espace de luxe de 260m² en tant que styliste de la Maison de Couture "Aml-Création". Une ascension vertigineuse. Avez-vous été remarquée au "Caftan 2008" ?

AA : "Caftan 2008" m'a beaucoup appris. Lors de mon passage, les jurés ont délibéré longtemps. J'ai été classée 2e, ce qui pour moi était un réel succès. En effet, voir ma première candidature acceptée au Maroc, dans le monde du caftan, m’a donné confiance, car il m’arrivait parfois de penser ne pas être à la hauteur. Bien qu’au Maroc la coupe droite, ajustée près du corps ne soit pas considérée comme "coupe caftan", les gens ont adoré. En général, ils sont plus habitués aux modèles très évasés et chargés en strass ou paillettes.
Etant née en Belgique, je pense avoir interprété le souhait de beaucoup de femmes et les avoir rendues heureuses en créant des modèles qu'elles aiment et qu'elles ont envie de porter. C'est l’heureuse rencontre du "Caftan" et de la "Robe du Soir" avec la touche Aml- Création.

LNA : Que veut dire Aml-Création?

AA : Lorsque j'ai débuté, je devais trouver un nom, une enseigne commerciale. Ma plus grande passion est de créer. Souvent, lorsque j'ai un tissu dans les mains, le modèle est déjà réalisé dans ma tête.
Un de mes meilleurs amis m'a suggéré d'utiliser simplement "AMEL". Ensuite, nous y avons ajouté "CREATION"… d'où "Aml-Création". C'est simple et cela me reflète complètement. Lorsque nous avons lancé notre activité avenue Louise - Place Wiltcher's, à Bruxelles - nous avons complété notre enseigne qui est maintenant "Aml-Création", a branch of Via Fontana. Aml-Création est une maison de confection et de prêt-à-porter pour dames et la partie Via Fontana est dédiée aux hommes qui aiment les belles matières.

LNA : Quelle est votre définition de " la Grâce féminine " ?

AA : Selon moi, la Grâce féminine, c'est lorsqu'une femme porte une robe magnifique ou une tenue qui dévoile un soupçon de ses atouts ; pour certaines les épaules, d'autres les jambes ou encore la poitrine, sans vulgarité, tout en sobriété et élégance. Quelques femmes veulent en faire trop par peur de ne pas se sentir assez belles ou vues lors d'un évènement. Je pense que ces femmes se trompent.
Aujourd'hui, la grâce féminine, c'est une femme élégante qui vit avec son époque et assume sa féminité avec un goût pour le raffinement.

LNA : Vous ne travaillez que les matières nobles telles que la soie sauvage, le taffetas de soie, la soie Shantung, la laine écossaise, la dentelle de Calais et la dentelle projetée. Ce choix est-il lié à une stratégie marketing qui ne vise à atteindre qu'une certaine clientèle ?

AA : Comme vous le suggérez, il y a effectivement une stratégie mais qui n'est pas seulement "marketing".
En effet, comme toute activité qui démarre dans un contexte structuré, avec un point de vente, un atelier et 5 personnes, il faut bien définir ce que l'on veut faire, mais aussi, comment le faire.
Avec Ovidio MONACO, le gérant, nous avons - dès le début - décidé de travailler essentiellement des matières naturelles, de bien nous investir dans la traçabilité des produits afin de respecter le mieux possible le commerce équitable.
De ce fait, tous nos tissus proviennent d’Europe, essentiellement d’Italie.
Le deuxième axe de notre stratégie est directement lié à la qualité des finitions de nos vêtements. Nous nous sommes imposé un degré de finition de très haut niveau, très proche de la Haute Couture.
Nos modèles sont souples, élégants pour certains, intemporels, mais ils sont destinés à notre clientèle et non pas à une certaine clientèle. Nous sommes très attentifs aux prix pratiqués et avons mis en place un suivi très analytique de nos confections.

LNA : Vous créez aussi des caftans (européanisés ou traditionnels) que vous proposez à la vente et à la location. Une démarche très rare pour une Maison de couture. Comment réagit votre clientèle?

AA : J’aime beaucoup cette activité. Au Maroc et ailleurs, les femmes aiment porter de nouvelles tenues lors de soirées ou autres occasions festives et la location leur permet de s’offrir ce plaisir à chaque occasion.
Beaucoup de femmes européennes aiment le caftan mais ont peu d’occasions de le porter. Elles ont dès lors beaucoup de plaisir à venir essayer et choisir un caftan pour une soirée des "Milles et une nuits".
Parfois, au retour de la location, certaines décident de l’acheter.
Il va sans dire que la confection est toujours possible dans le respect du budget de la cliente.
Dans le même esprit, depuis quelques mois, nous avons aussi lancé la location des "robes de soirée".

LNA : Comment définissez-vous le style Aml- Création?

AA : Le style Aml-Création, c’est avant tout conseiller la cliente à trouver le vêtement, la coupe, le tissu et le coloris qui lui correspondent parfaitement, qui la mettent en valeur. C’est aussi une créativité sans limite, avec toujours le souci de l’élégance, de la délicatesse, la fluidité des tissus, la sobriété des modèles, la petite touche finale qui fait que … le modèle est unique.
Quel plaisir pour toute l’équipe de voir une cliente quitter la boutique, heureuse d’avoir été écoutée, comprise et conseillée en conséquence.

LNA : Aml-Création se développe dans différents segments de marchés distincts. Quels sont ces marchés ?

AA : Nous avons fait le choix d’avoir différents univers à proposer à notre clientèle. Notre offre commerciale est donc assez large :
1) la confection sur mesure est notre vocation première ;
2) la réalisation de robes de soirée, de cocktail et de mariée a une place très privilégiée ;
3) les caftans traditionnels et européanisés font partie intégrante de notre créativité ;
4) nous réalisons également 2 collections par an avec des modèles prêt-à-porter de la taille 36 à 46 ;
5) nous proposons les accessoires pour dames (bijoux, foulards, ceintures…) afin de parfaire les tenues choisies ;
6) un corner hommes "Via Fontana" qui séduira les plus exigeants : chemises, cravates, foulards, pulls en cachemire, polos en coton mercerisé…

LNA : Dans quelle niche vous positionnezvous?

AA : Je ne sais pas si l'on peut parler d'une niche, mais nous avons réellement choisi de nous faire connaître pour la "Confection sur mesure" déclinée aussi bien pour une petite robe de plage qu'une robe de soirée "Haute Couture".
Avec de belles matières naturelles, une écoute volontaire, des modèles suggérés, de très belles finitions et des prix bien étudiés, il y a une vraie clientèle désireuse de retrouver cette approche du vêtement.
Pour les personnes un peu plus pressées, nous avons nos Collections Printemps/Eté et Automne/Hiver ainsi qu'une gamme de vêtements dits "classiques" tels que chemisier de soie, jupe en laine ou en coton et pantalon en laine ou en coton. Ces modèles "Classiques" sont déclinés dans différentes couleurs et dans les tailles (36 à 46).
Notre clientèle compte également quelques femmes d’affaires qui souhaitent - même pour le bureau - s’habiller.

LNA : La Belgique mise à part, quels sont les autres marchés que vous cherchez à développer?

AA : Après un an d’activité, notre volonté est déjà de nous développer.
Actuellement, nous commençons à travailler avec quelques partenaires belges qui vont vendre nos collections.
Dans un futur proche, nous allons examiner les possibilités de travailler à l’international. Il reste évident que l'Europe est un marché qui nous intéresse beaucoup mais les autres continents également.
Nous prospectons, mais sommes aussi à l'écoute de toute proposition.

LNA : Avez-vous l'intention d'avoir une visibilité au Maroc?

AA : Le Maroc pour moi, c'est un plaisir et un échange entre stylistes.
Si, en 2013, nous participerons à "Caftan 2013", c'est pour montrer "notre" style et le fait qu'en Europe, il y a aussi une vision du caftan. Les échanges multiculturels vont certainement favoriser ces visions différentes du caftan.

LNA : Quel est le principal vecteur de votre croissance?

AA : Indépendamment de la confection sur mesure, en tant que jeune maison de création belge, notre but est de faire connaître la marque Aml-Création sur le marché. L'une de nos stratégies est de développer une relation privilégiée avec quelques revendeurs – des boutiques multimarques – qui feront la promotion et la vente des vêtements Aml-Création. Notre proposition est de réaliser des mini-collections exclusives "sur mesure" destinées à ces boutiques triées sur le volet.

LNA : Quel est votre plan marketing?

AA : Le plan marketing est planifié sur 24 mois. Il y a deux axes principaux de développement : 1) la vente directe par nos points de vente et les boutiques "Partenaires" ;
2) l'international.
Les activités que nous favorisons sont : 1) l’organisation d’événements (défilés, presses) ;
3) notre site E-commerce de commandes en ligne.

LNA : Vous faites l'apologie de la couleur. Estce votre code de reconnaissance?

AA : Nos collections marient à la fois les couleurs dites classiques et les couleurs dites chatoyantes (imprimés floraux, imprimés cachemire,…). Notre clientèle aime avoir bonne mine avec des modèles aux couleurs qui rehaussent leur teint et invitent le soleil dans leurs garde-robes. Donc, oui, sous cette forme je fais l'apologie de la couleur.

LNA : De tous temps, pour vendre, il fallait savoir communiquer… et aujourd'hui encore plus ! Quels sont vos axes de communication ?

AA : En 2011, année de nos débuts, nous avons favorisé la publicité dans des revues de prestige. En 2012, nos axes de communication sont étroitement liés à notre plan marketing. Nous travaillons, d’une part, avec une agence de presse afin d’acquérir une visibilité auprès des magazines, quotidiens et hebdomadaires spécialisés dans la mode et, d’autre part, nous sommes également conscients de l’essor d’Internet et travaillons avec une agence de référencement pour notre site de vente en ligne.
Enfin, nous tenons notre clientèle informée de nos activités par le biais d’e-mailings

LNA : Selon une étude faite par le Conseil de la Mode en Angleterre (source : chiffres de "Commerce International"), le "British Fashion Council” (BFC), le secteur de la mode dans son intégralité a contribué en 2009 à hauteur de 20,9 milliards de livres à l'économie nationale, soit 1,7% du PIB, ce qui est le double de la production automobile ou de l'édition. Au Brésil, en Chine, aux USA, en France, à Singapour, entre autres, la mode participe au développement économique. Pensez-vous que la Belgique puisse emboîter le pas à ces pays et structurer cette économie de marché qu'est la mode pour développer une image globale qui rapporterait au pays?

AA : Ces dernières années, la Belgique a bien montré et démontré un réel savoir-faire dans pas mal de domaines. La Belgique est riche de jeunes créateurs bourrés de talent et peut, selon moi, certainement contribuer à faire du marché de la mode un marché florissant. Evidemment, en ces périodes difficiles, rien n'est simple mais on peut courber un peu l'échine et se préparer pour les jours meilleurs. Nous, avec nos capacités propres, nous allons essayer d'y contribuer.

LNA : Que pensez-vous de l'initiative de ”MAROC PREMIUM“ de faire la promotion sous un même label des meilleures adresses du Maroc dans les différents domaines que sont : la mode, l'hôtellerie, la gastronomie, les Spa, les golfs, le design, l'artisanat ainsi que les produits naturels d'exception. Nous voyons que tous ces domaines concernent le luxe et le savoir vivre?

AA : Il me semble que cette initiative peut être porteuse, car la clientèle qui apprécie le haut de gamme à sa juste valeur aime avoir un panel de suggestions à sa disposition dans des domaines divers et variés.

LNA : Tous les signes extérieurs de richesse de la classe moyenne sont à l'orange. A cause de cela, Dolce & Gabbana, qui a l'habitude de communiquer par des images glamour et sensuelles, change le style de sa publicité pour la campagne printemps-été 2012 en mettant le focus sur la famille et les valeurs simples qui rassurent. Est-ce la bonne démarche marketing pour garder une clientèle de niche pointue qui aime à se démarquer du commun des mortels ?

AA : Vaste question ! C’est vrai qu’il y a un grand retour au "naturel" et à la "simplicité". D'une manière générale, ce n’est pas pour nous déplaire car nous avons déjà fait des choix qui sont rassurants : matières naturelles, beaux vêtements à des prix justes, ... Ceci étant, je crois qu'il y aura toujours plusieurs marchés pour pouvoir satisfaire tout le monde. Se démarquer du commun des mortels peut très bien se faire par le choix précisément de belles matières, de coupes affinées, car le côté glamour viendra après au lieu de venir avant.

LNA : Quel est le minimum d'investissement à faire pour acheter une robe, un tailleur ou une silhouette caftan façonnés par vous?

AA : La première règle qui est absolument indissociable de notre manière de voir le commerce est le respect du budget de nos clientes. Je crois pouvoir dire que nous avons vite et bien compris que la dépense qui peut être acceptée est souvent étroitement liée avec l'événement qui va engendrer l'envie d'avoir une confection sur mesure. De ce fait, nous avons des confections sur mesure à 250/300 € mais aussi à 4.000/5.000 €. Ce qui va essentiellement être différent, ce sont les types de tissus (dentelle de Calais projetée, soie exceptionnelle, finition manuelle des détails de la robe, ...) Ce qui sera identique, ce sont les matières naturelles, la qualité des finitions et le service.

LNA : Vous admirez le petit tailleur créé par Madame Chanel qui est le symbole de l'élégance française ainsi que les robes "Grand soir" du Couturier de ces dames, Monsieur Elie Saab, qui mélange la culture occidentale et orientale en mariant l'art de vivre libanais avec l'architecture moderne et le design. Et qui aime comme vous les matières nobles. Le style de ces deux grands personnages vous inspire-t-il ?

AA : J'aime beaucoup ces deux grands créateurs, sans pour autant vouloir leur ressembler ou m'en inspirer.
Je pense que chaque styliste a sa propre touche, son propre style. Je crée ce que j'ai envie, sans me demander quelle sera la couleur à la mode cette année ou quelle sera la longueur de jupe. La mode pour moi, c'est magnifique, mais est-ce que toutes les femmes peuvent porter ce qui est tendance ? Je ne le pense pas. La plupart des vêtements sont faits sur des mannequins. Malheureusement, dans la vie de tous les jours, la terre n'est pas un aquarium de Top models. J'essaie de garder un oeil réaliste sur les personnes qui entrent dans la boutique. J'aime habiller des personnes de tout âge et de toute taille car toute personne a le droit de vouloir bien s'habiller. Je suis mon inspiration en espérant que ça plaise.

LNA : Selon une rumeur qui court dans la mode internationale, vous avez un scoop concernant la gent masculine. Voulez-vous le révéler au nouvel Afrique ?

AA : J'espère un jour…, enfin bientôt, habiller l'homme, d'un style oriental franco-marocain… Je ne me lancerai pas tout de suite dans des costumes ou des smokings… mais qui sait un jour… peut-être même l'enfant. Aml-Création n'a pas de limite !