Article publié le 2012-07-04 par Par Daouda Emile Ouedraogo Editorial
Préserver l’âme de l’Afrique [05/2012]
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Au plus profond de l’Afrique, se trouve enfouie une expression de vie, de mouvement, de sens et de pratique : sa tradition. Cette dernière, longtemps niée à travers les circonvolutions et les péripéties des temps, est toujours d’actualité. Elle fermente, forge et caractérise l’âme de l’Afrique. Depuis la nuit des temps, la tradition africaine s’est illustrée de génération en génération. Elle survit aux intempéries des attaques extérieures. Ces attaques ont pour noms : colonisation, modernité, perte de valeurs culturelles. Mais qu’est-ce que la tradition ? La définition de cette valeur peut paraître simple à première vue. Et pourtant ! La meilleure explication que l’on puisse trouver est celle de Doumbi Fakoli dans son ouvrage «L’origine négro-africaine des religions dites révélées », éd. Menaibuc, pp. 10-11, où il écrit de façon achevée et complète : «... La tradition résumait et continue de résumer l’ensemble des comportements et attitudes par lesquels chaque peuple honore dieu et ses ancêtres méritants, affirme son existence dans la paix et l’harmonie, et préserve son environnement... Plus ancienne que la religion et la civilisation -autre terme récent- la tradition englobe la première et se confond avec la seconde... Derrière sa religion et sa civilisation, chaque peuple pratique sa tradition et sa tradition seulement... ». En un mot comme en mille, la tradition est le souffle de vie des peuples. Elle conditionne, forme et met en valeur les rites, les coutumes qui jalonnent la vie d’un groupe de personnes. Il n’existe pas de peuple sans tradition. Il n’existe pas d’entité ethnique sur le continent qui n’ait de valeur, de sacré à préserver. C’est pourquoi, Fakoli compare la tradition à la fois à «l’âme et l’esprit d’un peuple pour qui elle définit la même vision du monde et élabore les mêmes comportements et les mêmes attitudes face à la totalité de la vie...». La tradition distingue un peuple d’un autre. Sans tradition, pas d’existence : «Elle est l’élément de cohésion indispensable à l’existence d’un peuple en tant que membre à part entière de la grande famille humaine. Elle différencie ce peuple de ses semblables, mais rend cette différence complémentaire de l’ensemble des différences des autres composantes de l’humanité pour faire la richesse du Sentir et de l’Agir de la grande famille humaine». Les différentes traditions qui peuplent l’Afrique s’imbriquent et se complètent. Cette façon de vivre, de réguler son existence s’illustre par des rites, des coutumes, des expressions culturelles. Ces valeurs donnent à la tradition ses mérites, sa place dans l’évolution du vécu de chaque peuple. En Afrique, la tradition se confond avec le sacré. La tradition s’illustre dans le secret. Les rites initiatiques, les cérémonies mortuaires, funéraires, de naissance, sont autant d’expressions de la tradition africaine. Face à la montée du modernisme, de la globalisation de la planète, la tradition africaine fait face au défi de sa pérennité. Cette pérennité est confrontée à la montée des théories religieuses face aux comportements des peuples. Or, à en croire Fakoli, la tradition est plus vieille que la religion et la civilisation. De grands penseurs africains, au fil des temps, tels Cheick Anta Diop, ont démontré que la tradition africaine est le berceau des traditions. La culture est en elle-même une expression de la tradition. Cette expression qui jalonne l’existence des êtres, des choses, des hommes sur le continent. L’un des malheurs de l’Afrique a été de permettre que sa culture soit fourvoyée au profit de celle importée. Aucun peuple, aucune nation, aucune civilisation n’a pu se développer en empruntant le mode de vie, d’existence d’un autre. Chaque peuple existe et se développe à travers sa culture qui est un élément de sa tradition. La richesse, la vitalité de la tradition africaine fait d’elle l’une des plus achevées qui puisse exister. A l’analyse, sans tradition pas de modernité puisqu’il faut un passé pour que puisse exister un présent qui s’ouvre et appelle à l’avènement d’un futur. La tradition africaine s’ouvre et se bonifie avec le temps. Cette bonification appelle à une vigilance de la part des Africains, à une synergie d’action et de pratique qui forgera le destin des peuples. L’Afrique ne peut évoluer en dehors de sa tradition. Elle est intrinsèquement liée à cette réalité. Car, perdre les valeurs qui nourrissent la tradition est synonyme de perdre son âme.