Article publié le 2012-07-04 par Par Anthony Vercruisse Politique
Gestion des conflits et des crises, La CEDEAO se remet en selle [05/2012]
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Les crises politico-militaires que vivent le Mali et la Guinée-Bissau ont remis en selle la diplomatie de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Option militaire pour rétablir la paix au Mali, ou négociation pour une sortie de crise apaisée au Mali tout comme en Guinée-Bissau, les jeux sont ouverts pour que la CEDEAO redore son blason afin d’éviter que l’institution ne soit taxée de coquille vide.

La CEDEAO ne veut pas rester indifférente aux drames politico-militaires qui se jouent dans deux de ses pays membres. Le Mali et la Guinée- Bissau sont en proie à des crises politico-militaires de divers ordres et degrés. Au Mali, successivement un coup d’État opéré par de jeunes officiers suivi de la nomination d’un président par intérim, doublé de la division du territoire par des groupes rebelles, a plongé le pays dans le chaos et l’indiscipline généralisée. En Guinée- Bissau, contestant l’organisation des élections et un prétendu accord entre certaines autorités et l’Angola, des mutins prennent les armes et renversent les autorités politiques. C’est le branle-bas. Dans ces deux pays, le dénominateur commun est la mise à plat des institutions républicaines avec l’avènement d’un nouvel ordre politique qui se conjugue avec les armes et ses corollaires (insécurité, viol, trafic de drogues etc.). Face à la situation au Mali, la réaction de la CEDEAO a été prompte, rapide et sans tergiversations. Des sanctions économiques ont été infligées à la junte qui avait renversé le Président Amadou Toumani Touré (ATT), un négociateur a été nommé en la personne du Président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, et des mesures ont été prise pour le retour à l’ordre constitutionnel. Respectant les clauses de la Constitution de 1992, le Président de l’Assemblée nationale, Dioncounda Traoré, a été désigné pour assurer l’intérim de la Présidence de la République. À son tour, il nomme Cheick Modibo Diarra, l’astrophysicien, comme Premier ministre. Mais le calvaire des Maliens n’est pas terminé pour autant. Le pays est coupé en deux. D’un côté, les rebelles du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) et de l’autre, des groupes terroristes d’Ansar dine, contrôlent le Nord-Mali, synonyme de l’occupation des 2/3 du territoire. La CEDEAO en pompier veut rétablir l’ordre. Mais de quelle manière ?

Dialoguer ou user de la force ?

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest dispose de deux options pour réunir le Mali dans sa totalité. La première est la négociation. La seconde, l’usage de la force. L’institution sous-régionale semble se préparer à ces deux options. Alors que les émissaires du médiateur Blaise Compaoré sillonnent le Mali à la rencontre des différents protagonistes, une force en attente de la Communauté forte de 3000 hommes a été mobilisée. Dans les deux cas de figure (négociation ou usage de la force), la tâche ne semble pas aisée pour l’Institution communautaire. Dans le premier cas de figure (la négociation), des difficultés d’ordres politique et technique existent. D’une part, la complexité des mouvements présents dans le Nord du Mali ne facilite pas la tâche du négociateur. D’autre part, les revendications des rebelles de l’AZAWAD et celles des islamistes d’Ansar dine ne sont pas les mêmes. Les premiers demandent une autonomie territoriale des espaces qu’ils considèrent comme relevant de la propriété du peuple touareg. Les autres, les Islamistes veulent conquérir tout le territoire malien en vue d’y instaurer la loi islamique. S’il est plus facile de négocier avec les rebelles du MNLA, la tâche est encore plus compliquée avec les groupes islamistes dans la mesure où la communauté internationale trouve incongrue de négocier avec les terroristes. La deuxième difficulté pour la CEDEAO est le manque de moyens militaire et financier des 15 pays membres. Or, on le sait, la crise en Libye a contribué à armer fortement les groupes et les milices qui militent dans le Sahel. En découdre avec ces groupes dans l’état actuel des choses serait suicidaire pour les armées des pays de la CEDEAO. Non seulement, celles-ci ne maitrisent pas le terrain. En outre, disposer d’un arsenal de guerre capable de repousser les deux groupes rebelles qui sévissent dans le Nord Mali s’avère presque cause perdue. Que faire ? D’où l’appel de la CEDEAO à la communauté internationale afin d’obtenir un soutien logistique important pour faire face aux velléités déstabilisatrices des groupes rebelles et islamistes. Cette situation n’a pas encore été résolue, mais la Communauté ouest-africaine doit faire face à une autre crise : le coup d’État militaire en Guinée-Bissau.

Guinée-Bissau, le retour des vieux démons

Pays abonné aux putschs, la Guinée-Bissau renoue avec ses vieux démons. En effet, après le premier tour de l’élection présidentielle en avril dernier, des militaires prennent les armes et stoppent de façon unilatérale le processus en cours. Une junte militaire prend le pouvoir et, en un temps record, rassemble des partis politiques pour former un «gouvernement d’union nationale». Un Président intérimaire, notamment le candidat arrivé en troisième position lors du premier tour, Manuel Serifo Nhamadjo, est nommé pour une transition de 2 ans. Le cas de la Guinée-Bissau est spécifique du Mali à plus d’un titre. Selon le Dr Gilles Yabi dans «Le rôle de la CEDEAO dans la gestion des crises politiques et des conflits», ce pays est l’un des rares à avoir engagé une lutte armée pour accéder à l’indépendance. La particularité de la Guinée-Bissau (appelée Guinée portugaise pendant la période coloniale) dans la région occidentale de l’Afrique, explique-t-il, tient à trois raisons liées entre elles : elle fut avec le Cap-Vert une des deux seules colonies portugaises de la région ; elle fut la seule colonie ouest-africaine à avoir engagé une lutte armée pour obtenir son indépendance ; et elle n’est devenue indépendante qu’en 1974, quatorze ans après la plupart des autres nouveaux États de la région (et seize ans après la Guinée «française» voisine). Ceci explique-til cela ? Par rapport au Mali où la CEDEAO avait pris le taureau par les cornes en infligeant des sanctions à la junte, il n’en va pas de même pour la Guinée-Bissau. Elle s’est résolue à condamner le coup d’État lorsque l’UA suspendait le pays de toutes ses instances. La situation dans ce pays est dans l’impasse avec la décision de la junte de n’autoriser aucune manifestation de quelque ordre que ce soit. De facto, le pays muselle la liberté d’expression et la liberté démocratique se réduit comme peau de chagrin. La question qui se pose est de savoir qui sauvera la Guinée- Bissau des mains des tyrans de la démocratie ? Wait and see.




Le Cadre de prévention des conflits de la CEDEAO

Le Mécanisme de prévention, de gestion, de règlement de conflits, de maintien de la paix et de la sécurité tel que défini par le Protocole initial de décembre 1999 et complété et amendé par le Protocole additionnel de décembre 2001 a permis à la CEDEAO de légitimer et de structurer davantage ses interventions dans les crises politiques émergentes ou déclarées dans les pays membres. La CEDEAO, au niveau de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement mais aussi au niveau du Secrétariat exécutif (puis de la Commission), a été amenée à se prononcer sur la qualité des processus électoraux dans un certain nombre de pays membres ainsi que sur les modes anticonstitutionnels d’accession au pouvoir à l’instar de la situation du Togo au lendemain du décès du président Gnassingbé Eyadema (2005). L’éclatement d’un conflit armé en Côte d’Ivoire, la deuxième puissance économique de la communauté (septembre 2002), le retour de la guerre civile au Liberia avant l’exil de Charles Taylor en août 2003, la poursuite de la stabilisation de la Sierra Leone, la détérioration de la situation politique et économique de la Guinée, les élections de 2005 en Guinée-Bissau et la permanence des tensions politico-militaires dans ce pays sur fond de développement d’un trafic international de drogue, ont donné peu de répit aux organes de la CEDEAO et mis immédiatement à l’épreuve des faits les ambitions du Mécanisme. L’exigence de coordination entre les mécanismes de prévention et de règlement des conflits entre la CEDEAO, l’Union africaine elle-même en pleine refondation, et l’ONU présente à travers ses missions de maintien ou de consolidation de la paix et son Bureau pour l’Afrique de l’Ouest est devenue manifeste. La transformation du Secrétariat exécutif en Commission de la CEDEAO devenue effective en janvier 2007 a par ailleurs renforcé la visibilité et le caractère supranational de l’organisation. Au terme d’une série de consultations et de réunions d’experts, le Conseil de Médiation et de Sécurité a adopté le 16 janvier 2008 un Règlement définissant le Cadre de Prévention des Conflits de la CEDEAO (CPCC), un document qui vise à clarifier la stratégie de mise en oeuvre des principes contenus dans les deux protocoles de 1999 et 2001. Dans ce nouveau document, il est indiqué que la CEDEAO a mis en place plusieurs organes prometteurs en matière de prévention des conflits en vue de soutenir son mandat, notamment le Système d’alerte précoce, le Conseil de Médiation et de Sécurité, le Conseil des sages.

Source : Dr. Gilles Olakounlé Yabi / Le Rôle de la CEDEAO dans la Gestion des Crises Politiques et des Conflits : Cas de la Guinée et de la Guinée Bissau