Article publié le 2012-02-29 par Entretien réalisé par Hilaire Hubert (HH) Culture
Mickael Kra, Designer-Créateur Un nom, une référence 1ere partie [01/2012]
Mickael Kra © Lo Calzo

Il est un nom, une marque et absolument une griffe. Monsieur Mickael Kra, de la Maison "MICKAEL KRA", est un nom connu de par le monde. Il est, toutes proportions gardées, le plus Grand Designer africain dans le monde des bijoux et des accessoires de luxe haute couture. Il est évidemment un créateur, mais également et surtout un exemple pour l'Afrique...

Le nouvel Afrique (LNA) : Monsieur Mickael KRA, vous êtes né en 1960 à Lille; vous passez votre enfance en Suisse et à 8 ans, vos parents vous emmènent à Abidjan en Côte d'Ivoire. Vous y fréquentez le Collège français et là, vous rencontrez Madame Mouleau, l'un de vos professeurs. Que vous a apporté Madame Mouleau?

Mickael KRA (M K) : Dans l'enfance, il y a de ces enseignants qui arrivent à tirer le meilleur de chaque enfant afin de leur donner des ailes. En effet, dès mon plus jeune âge à l'école primaire, je me faisais disputer par les enseignants car je passais mon temps à dessiner sur des feuilles de papier pendant les cours ! Les brimades et les punitions étaient quotidiennes. Un jour, Mme Mouleau, mon professeur principal m'a appelé et m'a fait comprendre que j'étais doué pour le dessin et les arts plastiques et qu'une fois mes devoirs terminés, elle me donnait l'autorisation de faire un dessin pour séparer chacun des jours de la semaine! Je peux vous assurer qu'à partir de ce jour je n'ai plus été le même !!!

LNA : Parlons de votre mère. Grande artiste, elle vous éveille à la Beauté, à la Mode, à l'Art et au Luxe artisanal. Parlez-nous de votre apprentissage auprès d'elle. Quelle a été son influence?

M K : Tout petit, j'étais tellement fasciné quand je voyais ma maman se préparer le matin, je la regardais se coiffer, se maquiller et j'adorais ce moment ... C'était tout simplement magique !!! On allait ensemble au marché de Treichville à Abidjan et nous passions des heures entières à fouiner dans les allées et les étalages à la recherche de tissus avant d'aller chez le couturier où elle donnait ses directives pour la confection de nos vêtements. Elle passait beaucoup de temps également avec les jardiniers pour donner un cachet au paysage des alentours de notre villa et la maison changeait souvent de couleur et d'ambiance, les meubles et les objets de décoration changeaient de place régulièrement. Elle les choisissait avec beaucoup de sérieux et ils occupaient une place importance dans notre quotidien ! C'est elle qui m'a éveillé à l'art, à la mode, au maquillage, à la coiffure et à la décoration ainsi qu'au monde du spectacle. Souvent, nous allions à des vernissages d'exposition de tableaux ou de bijoux. Ma mère était aussi une artiste très douée en dessin et s'intéressait aussi à la musique noire américaine, celle des Caraïbes et de l'Afrique.

LNA : A 17 ans, vous arrivez à New-York. Vous rencontrez le maquilleur Kevin Board qui collabore avec " Vogue", la NBC...., ce qui vous permet de rentrer au coeur de la mode made in USA. Vous passez plus de 10 ans aux USA et en 1993, vous atterrissez à Paris avec un diplôme des Beaux-Arts de la Parsons School of Design de New-York. 1993 est-il le début de votre fabuleuse carrière?

M.K : Ma carrière a démarré à New York puisque j'ai commencé à créer des bijoux aux Etats-Unis ......Kévin était maquilleur dans le show biz entre New York et Los Angeles. Il maquillait les plus grandes stars de la musique et il faisait aussi du maquillage pour films à effets spéciaux, ce qu'on appelle la prosthétique. Les articles de la presse américaine sur mes créations étaient très nombreux et je devins rapidement le chouchou des rédactrices de mode. Alors Kevin décida de se consacrer à ma carrière et devint mon manager. Très vite, mes bijoux sont distribués dans les plus grandes boutiques des USA, Henri Bendel, Saks Fifth Avenue, Giorgio Bervely Hills et ma collection est représentée aux quatre coins du pays par des show-rooms qui s'occupent de présenter ma collection pour la faire distribuer. A l'époque je créais sous le nom de "Reine Pokou". Reine Pokou sera même vendu à bord de la compagnie aérienne Air Afrique et cela sera une vraie rampe de décollage pour moi à travers le monde. En 1992, Kévin décède à l'âge de 33 ans et c'est là que je décide de quitter New York pour venir à Paris.

LNA : Très vite, les plus grandes Maisons de haute couture font appel à vous. Louis Féraud, Pierre Balmain, Yves Saint-Laurent, les chaussures Renée Mancini, entre autres. Quel est le lien entre ces différentes Maisons et votre style de création?

M.K : A mon arrivée à Paris, je vais voir les plus grandes maisons de Haute Couture car, j'ai à présent envie de faire de la création pure et simple, des pièces uniques. Je pense que ces couturiers m'ont pris sous leurs ailes tout simplement parce que je pouvais apporter un style nouveau et frais, un cachet d'exotisme et de sophistication africaine que personne n'avait jamais été capable de créer et de transcrire en accessoires de haute couture. De plus, les collections de ces couturiers comme M. Saint Laurent ou Jean Louis Scherrer de M. Féraud ou de la maison Balmain ont souvent un thème qui s'inspire de l'Afrique ou du Moyen Orient dans leur collection et ils m'ont donné ma chance. Cette expérience a été la meilleure école pour perfectionner mon travail et affirmer mon style.

LNA : Parlez-nous, Monsieur Mickael, de votre collaboration avec une de vos plus illustres "MUSES", nous pouvons tous dire notre regrettée, KATOUCHA, la star des stars des top-modèles. Vous étiez très proche d'elle et l'aviez beaucoup parée de vos créations pour la grande Maison Yves Saint-Laurent. Comment l'avez-vous connue?

M.K : Katoucha et moi ... Nous nous sommes rencontrés en arrivant étudiant en France. Nous avions 18 ans et nous étions au lycée. Tous les deux arrivions d'Afrique et tout de suite nous nous sommes sentis comme des âmes soeurs. Elle était mon alter égo et il y avait entre nous une complicité que je n'ai jamais ressentie avec aucune autre femme! Nous nous captions au quart de tour par un regard et sans même se parler. Et puis moi, j'ai évolué à New York dans ma création de bijoux et de son côté à Paris elle est devenue le Super Model que le monde entier connait ! Mon retour à Paris après le décès de Kevin a définitivement scellé notre amour l'un vers l'autre. De plus, nous étions les deux seuls Africains dans les salons de la haute couture parisienne à la grande époque des super shows et des tops modèles. Cela n'a fait que nous différencier de nos pères et nous rapprocher dans ce monde de folie et dans ce tourbillon de la mode. Katoucha est tout simplement ma jumelle cosmique !

LNA : Votre première ligne de bijoux concerne le Royaume Ashanti et s'intitulait "Reine Pokou". Pourquoi avoir choisi cet hommage au Royaume Ashanti?

M.K : Il m'est paru tout de suite évident de créer sous le nom de "Reine Pokou" plutôt que sous mon propre nom, puisque mes bijoux s'inspiraient de la tradition Ashanti du Ghana et de la Côte d'Ivoire. De plus mon père est un descendant direct de la Reine Pokou qui a immigré en Côte d'Ivoire ! Je pensais que ce nom symbolique pourrait pousser très loin l'image d'une Afrique de rêve et de beauté. "Reine Pokou" m'a porté chance et a permis ensuite de faire connaître et naitre l'artiste Mickael KRA.

LNA : Vous ne travaillez que les matériaux nobles, tels l'or, l'argent, la pâte de verre, le cristal, le corail, la bauxite, la terre-cuite et l'orfèvrerie fine. Partant de ces matériaux, vous mettez en avant la beauté de la femme car, votre création n'est pas que des bijoux mais de sublimes silhouettes à part entière qui transcendent la femme. Quelle est votre vision de la beauté féminine?

M.K : Le bijou en Afrique n'est pas considéré comme un simple accessoire ! Le bijou porte toute une signification symbolique, soit à l'appartenance ethnique, soit à son rang dans la société, soit par rapport à sa situation familiale ou etc. Le bijou est un apparat, c'est une parure de corps! J'ai milité en quelque sorte avec la création ... Le bijou Mickael KRA devient une parure de corps, une pièce de conversation, il devient la pièce maitresse et le vêtement n'est plus qu'un simple accessoire. C'est donc une femme forte en personnalité qui aime mes bijoux ; qu'elle soit Blanche, Noire, Jaune ou Rouge, les parures de Mickael KRA sont faites pour une femme qui a un certain état d'esprit, qui aime l'originalité et la différence .... Elles n'ont pas peur de se faire remarquer ou du "qu'en dira-t-on" ?

LNA : Vous êtes aussi un fervent défenseur de la beauté de la femme métissée. En quelle année avez-vous créé "AFROGLAM" et quel message vouliez-vous faire passer grâce à cette appellation?

M.K : J'ai tout le temps détesté être mis dans des catégories, et le mot "ethnique" me met en grogne quand on parle de mes bijoux. C'est M. Saint Laurent qui disait préférer le mot exotisme. Car pour un Amérindien, un bijou art déco ou chanel pourrait lui sembler "ethnique" puisqu'il vient d'une culture étrangère !!! Donc ce mot n'a aucun sens à mes yeux .... Il est plus approprié pour des conflits interraciaux comme au Kosovo ou au Rwanda !!! "AFROGLAM" est pour moi le dialogue entre deux cultures qui sont les miennes, la tradition africaine alliée au Glamour Parisien.

LNA : Vous militez également pour les causes humanitaires en ce qui concerne l'Afrique. Vous vous battez pour la population "SAN", (NDLR : les Bushmen - hommes de la forêt - se trouvent essentiellement dans le désert du Kalahari). Quel projet avez-vous développé pour cette population et quel en était l'objectif?

M.K : N'étant pas marié et n'ayant pas d'enfant à l'aube de mes quarante ans, des questions existentielles se sont posées. A savoir ... qu'est-ce que la vie ? La vie, c'est transmettre. Ayant été comblé par mon expérience et mon travail, j'ai décidé de rendre à mon continent une partie de ce que l'occident m'avait offert. Je m'investis donc dans un beau projet culturel et éducatif avec de remarquables artisans femmes dans le désert du Kalahari entre l'Afrique du Sud, le Botswana et la Namibie. Les "San" appellent vulgairement les «Bushmen». Ces populations ont été totalement marginalisées par la colonisation et la politique raciste de l'Apartheid en Afrique Australe. Leur culture est en voie de disparition alors que les San sont le premier maillon de l'espèce humaine qui a peuplé la terre ! Avec eux, je conduis des ateliers et nous créons des bijoux fait à partir de coquille d'oeuf d'autruche inspirés de leur pure tradition, des bijoux remis au goût du jour qui leur redonne fierté et noblesse ! Ces gens m'ont tellement donné !!! Cela est un cadeau inestimable et cela me donne la joie et me replace vers de vraies valeurs qui sont à l'opposé du monde artificiel et superficiel de la mode en Occident !!!

LNA : Vous agissez aussi pour la préservation du patrimoine culturel de l'Afrique. Quelles sont les opérations qui ont été développées sur le terrain?

M.K : Mes actions pour la pérennisation et la perpétuation du patrimoine africain sont essentiellement axées sur l'artisanat en conduisant des ateliers avec artisans et populations volontaires de tout sexe et âge. Ces ateliers consistent à créer des objets, des accessoires et de l'Art inspiré directement de la tradition. Ils sont à la fois éducatifs et culturels et peuvent aussi aboutir à des actions économiques. Par exemple les Femmes du Kalahari arrivent à revendre leurs bijoux à des ONG qui les commercialisent dans le reste du monde. Celles-ci arrivent à gagner de l'argent sans avoir à compter sur les hommes. Une femme qui participe également à un atelier pourra ensuite instruire d'autres femmes et ceci joue un grand rôle éducatif. Les personnes infectées par le VIH également peuvent se retrouver ainsi avec une activité qui les revalorise dans une société où le virus du VIH/Sida est souvent mal perçu et met les malades au ban de la société.

LNA : Les combats que vous menez pour l'humanitaire et la préservation du patrimoine culturel africain font-ils partie de vos inspirations créatives?

M.K : Jamais je n'aurais osé espérer une telle gratification en conduisant ces ateliers! L'échange entre les participants et moi-même est incommensurable!!!! La création est un langage universel et j'apprends autant qu'ils me donnent de leur savoir-faire et de leur expertise! C'est en fait une route à double sens. Quel Enrichissement.

LNA : Vous êtes autant designer que créateur. Pourquoi avoir choisi de travailler vos bijoux et accessoires dans des matériaux tels que la terre-cuite, la bauxite et le corail. Est-ce le retour aux sources qui vous attire?

M.K : En retournant en Afrique, j'ai vraiment voulu sortir des sentiers battus en créant des pièces à partir de matériaux moins conventionnels. La bauxite ou la terre cuite mélangée au verre ou au cuir. Les perles faites à partir de coquille d'oeuf d'autruche mélangée à des plumes ou à des pierres semi-précieuses. Egalement, les différents traitements de surface sur les métaux en les oxydant ou en les patinant. Les possibilités sont sans limites. Oui ! le retour aux sources est indéniablement une grande source d'inspiration et je m'aperçois que le vrai pouvoir de création peut naître dans la difficulté.

FIN 1ere partie
suite LNA 41 de février