Article publié le 2012-01-11 par Entretien réalisé par Hilaire Hubert (HH) Culture
Pierre Gauthier, Monsieur Haute couture - «Notre valeur essentielle, c’est un savoir-faire»[12/2011]
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TOUT est UNIQUE. Tout est FAIT MAIN. Tout n'est que SUR-MESURE. Et tout n'est que NOBLESSE D'UN ART, celui de la HAUTE COUTURE. Bienvenue dans la Maison PIERRE GAUTHIER. Belge et originaire de Wallonie, Pierre Gauthier livre ses secrets de couturier

Le nouvel Afrique (LNA) : M. Pierre Gauthier, la haute couture est née à Paris vers le milieu du XIXe siècle. Mais, vous, vous avez un goût sans limite pour le XVIIIe siècle. Etes-vous un revenant de cette époque?

Pierre Gauthier (PG) : Là, je dirais qu'il n'y a que Dieu qui puisse répondre à cette question. Mais c'est vrai que je suis assez sensible à cette époque, pas seulement pour les costumes, mais aussi pour l'art en général. Je suis impressionné par ce que les hommes sont capables de faire de leurs mains, dans le bâtiment, la construction de châteaux, ou d'autres choses encore. Je trouve cela très enrichissant, inspirant. Je suis très sensible à tout ce qui est broderie. Or, la broderie était très utilisée à l'époque. Aujourd'hui, on s'en détache, ce qui est normal au XXe siècle. Je ne suis pas du tout spécialiste d'une époque en particulier, mais j'aime énormément cette époque-là, qui, sans doute inconsciemment m'inspire plus que toute autre. Oui, oui, c'est possible....

LNA : Il y a une légende qui dit que vous avez commencé à coudre à la caserne de Verviers quand vous étiez militaire. Si oui, comment faisiez-vous?

PG : C'est tout à fait vrai. J'ai passé une année complète à la caserne de Verviers....et je m'y ennuyais beaucoup le soir. A peine sorti de mes études, je voulais déjà travailler, je ne pouvais pas rester un an sans rien faire, sans rien imaginer ou créer. J'ai donc amené une machine à coudre et j'ai commencé à travailler. J'ai créé une collection de chapeaux, quelques pièces de vêtements. J'ai réclamé une armoire supplémentaire dans ma chambre pour y ranger tout cela, et ça a été accepté ! Curieusement, je ne me suis pas posé de question par rapport aux autres, mais ceux-ci, malgré leur surprise, ont bien accepté de me voir faire ça. Ce n'est vraiment pas courant de voir un garçon coudre en plein service militaire, mais je l'ai fait et je n'ai eu aucun ennui avec personne. Ainsi, j'ai pu m'exprimer et pendant cette année-là, je n'ai pas eu l'impression de trop perdre mon temps !

LNA : Vous êtes Belge, originaire de Thuin en Wallonie. À quel âge prenez-vous la décision de suivre les cours de stylisme de l'Institut Bischoffsheim à Bruxelles?

PG : Cela s'est fait tout à fait par hasard. En fin de rhéto, pendant les examens, je ne savais toujours pas ce que je voulais faire; j'ai eu un léger accident de moto. J'ai passé 3-4 jours à l'hôpital. J'y ai vu à la télévision un reportage sur les " journées portes ouvertes " de l'Institut Bischoffsheim. J'ai eu le déclic ! Je me suis dit : " voilà ce que je veux faire! ". Mes parents, au début, n'étaient pas très enthousiastes, d'autant plus que je n'avais jamais dessiné ni cousu. Mais j'ai passé l'examen d'entrée qui se déroulait début septembre et durait deux semaines. J'ai été pris et j'ai mordu tout de suite !

LNA : Et pourquoi avoir choisi Bruxelles et non par exemple l'Ecole de la Chambre Syndicale de la Haute Couture à Paris?

PG : La Chambre - section stylisme - n'existait pas encore à l'époque (cette section a été créée, je crois, 2 ou 3 ans plus tard). Et, n'ayant aucune notion de néerlandais, je ne pouvais pas m'inscrire à Anvers. D'où Bischoffsheim!

LNA : À Bischoffsheim, vous rencontrez Madame Esmeralda Ammoun, d'origine libanaise, avec qui vous travaillez en association depuis vos débuts. Comment vous répartissez-vous les tâches?

PG : Par hasard. Esmeralda et moi avons d'abord vécu en couple, puis nous avons créé notre griffe. Nous nous sommes rencontrés à Bischoffsheim. Esmeralda était en textiles. Après mon service militaire, nous avons tout de suite voulu travailler ensemble, nous installer, devenir indépendants. On a créé " Pierre Gauthier " très vite. Esmeralda est plus l'" architecte ", moi davantage le décorateur, le designer, le concepteur du vêtement. J'ai découvert la broderie par hasard et Esmeralda s'est spécialisée d'elle-même dans la coupe. Nous nous sommes octroyé nos tâches naturellement. Et ça a bien fonctionné comme ça !

LNA : A vos débuts, vous avez été comparé à Christian Lacroix pour le style et à la Maison Lesage pour vos broderies. Aujourd'hui, après 26 ans de création, quel est votre style, et votre ou vos codes de reconnaissance?

PG : Il est tout à fait normal d'être comparé aux plus grands à ses débuts. Je brodais beaucoup. Je mettais beaucoup de couleurs, j'aurais pu être comparé à d'autres. Mais chacun reçoit un peu à sa façon ce qu'il voit. Pour moi, c'était flatteur en tout cas. 26 ans plus tard, notre style s'est un peu éclairci, affirmé. Je me remets toujours en question. Notre style, à la base, était très " femme ". J'ai nettoyé un peu, je suis devenu plus sobre. Ce qui est intéressant dans notre métier, c'est qu'il faut toujours évoluer, aller chercher plus loin ce qui nous paraît le plus beau, le meilleur. On n'a pas vraiment de codes, sauf que je suis POUR la FEMINITE qui engendre des matières, des formes très féminines. Je ne suis pas du tout pour le côté androgyne qui a été très en vogue à une certaine époque.

LNA : La haute couture est un savoir-faire lié à l'artisanat depuis plus de 150 ans. Le terme " haute couture " est une appellation qui, du point de vue juridique, est protégée par le Ministère de l'Industrie en France. En 1945, des critères bien précis furent établis et actualisés en 1993. Parmi ces critères, nous trouvons qu'il faut employer au minimum 20 personnes dans ses ateliers; présenter à la presse chaque saison (printemps-été et automne-hiver) une collection d'au moins 50 passages. Suivez-vous les règles de la haute couture française ?

PG : Pas du tout ! Je ne me suis jamais revendiqué de la " haute-couture ", d'autant plus qu'en Belgique, il n'y a aucune protection de ce point de vue-là. Nous faisons, c'est vrai, uniquement du sur-mesure, nous réalisons pour et créons sur les clientes. Nous faisons presque uniquement de la pièce unique. Mais comme nous ne répondons à aucun des deux critères que vous avez mentionnés dans votre question, normalement nous ne serions pas susceptibles d'être désignés comme " haute-couture ". " Haute- Couture " est un label qui est réservé aux Maisons de Couture établies en France, uniquement. Pour moi, ça ne pose aucun problème : je fais de l'artisanat d'abord et avant tout et c'est ce qui importe.

LNA : Quelles sont les valeurs de la Maison Pierre Gauthier ?

PG : Nous n'avons jamais, par exemple, touché au prêt-à-porter, c'est un monde que nous ne connaissons pas. Nous sommes sans doute un peu déformés par ce que nous faisons depuis si longtemps. Nous avons choisi un chemin difficile. Mais je crois qu'il y a toujours des femmes qui cherchent des Maisons comme la nôtre, où tout est unique, fait à la main, sur-mesure, avec une création à la base....Nous n'avons aucun problème à travailler pour des femmes aux rondeurs généreuses, qui ont parfois du mal à se vêtir ailleurs. Notre valeur essentielle, c'est cela : un savoir-faire que nous pouvons présenter et adapter à tout qui veut porter nos créations.

LNA : Partant de ces valeurs, comment définissez-vous la FEMME PIERRE GAUTHIER?

PG : La " femme Pierre Gauthier " présente une grosse force de caractère. Elle vient seule, choisit seule, sans l'aide de son époux, elle n'a pas peur d'être regardée, admirée. Mes clientes me disent que même, dans nos détails les plus simples, il y a des choses que l'on ne trouve pas ailleurs. Nous recherchons constamment la perfection du Féminin, un équilibre, un esthétisme. Mais on ne peut pas plaire à tout le monde, n'est-ce pas ?

LNA : Et votre marché cible. Quelles sont ses caractéristiques socio-démographiques ?

PG : C'est vrai qu'il faut avoir les moyens pour s'habiller Pierre Gauthier. Notre meilleure publicité a toujours été le bouche-à-oreille. Nous touchons principalement des femmes vivant dans un milieu aisé, qui bougent beaucoup, qui sortent beaucoup, qui ont les moyens de vivre une vie active dans des milieux élégants, mais aussi de travail, parce que nous travaillons pas mal pour des femmes d'affaires. Cependant, le monde a tellement évolué en si peu de temps, qu'il faut aujourd'hui aller voir partout : nous aurions du succès aussi au Moyen-Orient, au Vietnam, au Liban, où nous sommes allés dernièrement. Les gens là-bas vivent encore une vie active et visible comme nous ne le faisons plus ici. Nous sommes en plein mouvement pour l'instant mais ce n'est pas toujours facile...

LNA : La Maison Dior dit : " L'énergie créatrice est ce qui nous anime ". Et Orson Welles assurait qu'il y avait 3 choses épouvantables dans la vie : du café trop chaud, du champagne tiède et une femme froide ! Et vous, M Pierre Gauthier, qu'est-ce qui vous définit en tant que personne et que vous transposez dans vos créations ?

PG : Je mets toute mon âme dans ce que je fais, même dans une robe toute simple. Je ne travaille jamais à la chaîne. Je m'investis complètement dans une pièce quelle qu'elle soit. J'aime relever des défis comme " qu'est-ce qui va aller le mieux à cette cliente ? ". Je transmets toutes mes émotions dans mes robes. Et c'est pourquoi sans doute certaines de mes clientes m'ont déjà dit que leurs maris leur avaient dit, pour la toute première fois, qu'ils les trouvaient très belles en Pierre Gauthier ! Il y a donc toujours des réactions quand on transmet de l'énergie et de la passion dans ce que l'on fait. À partir du moment où l'on crée en toute sincérité, on transmet forcément quelque chose, il se passe quelque chose.

LNA : En achetant du Pierre Gauthier, de quels avantages bénéficieront ces grandes dames ?

PG : J'espère qu'elles seront toujours élégantes, qu'elles porteront toujours la tenue juste, au moment où il le faut, en fonction de l'événement qu'elles vivent. Toujours miser juste pour elles. Ce qui compte, c'est que mes clientes se sentent bien dans le vêtement que l'on a créé pour elles. Si elles se sentent belles, cela se ressentira dans leur façon d'être. J'espère que nous les aidons dans l'accomplissement de leurs tâches, de leur vie, de leurs actions.

LNA : Quelles sont les principales caractéristiques de vos accessoires (sacs, parures de tête, bijoux) qui vous distinguent des autres maisons haute couture à l'étranger ?

PG : Malheureusement, de moins en moins d'artisans acceptent de travailler une pièce unique. Et quand cela arrive, c'est tellement coûteux qu'on est donc un peu limités ! Je ne réalise pas toujours tout ce que je voudrais. Mais je fonctionne beaucoup au feeling, à l'instinct, sur le moment même. Je ne fonctionne pas selon la tendance, je fais tout ce que j'ai envie de faire (au point de vue des couleurs....). Quitte à paraître démodé aux yeux de certains ou au contraire trop en avance aux yeux des autres. Pour les accessoires, c'est pareil. L'accessoire est une des choses les plus importantes actuellement : on peut se transformer en son propre styliste en mélangeant les genres et les marques. Et ça, les grandes Maisons l'ont bien compris et bien développé.

LNA : Revenons à la broderie. Vous brodez depuis vos débuts différents motifs et matières et en plus, à l'aiguille ! Nous pouvons dire " la Grande Classe " ! Quelle aiguille à main utilisez-vous, le chas ou le crochet, pour obtenir des robes, tailleurs ou manteaux brodés aussi sublimes ?

PG : J'ai découvert la broderie par hasard, comme je vous l'ai déjà dit. Ne connaissant personne sur Bruxelles qui brodait, et aimant tellement cela, j'ai commencé comme j'ai pu, à l'aiguille. Je n'avais aucune référence de quelqu'un pouvant m'apprendre la technique de Lunéville, donc au crochet. L'école Lesage n'existait pas encore à ce moment-là. Aujourd'hui, je suis en train de m'initier à cette technique car j'ai enfin rencontré une ancienne brodeuse qui peut me l'enseigner. Mais je me rends compte que je suis, à force, beaucoup plus rapide à l'aiguille qu'au crochet (ça fait quand même plus de 20 ans que je brode). N'importe quelles matière ou technique peuvent entrer en broderie : c'est un art très large. Et je crois que je me débrouille maintenant assez bien ! La broderie, c'est plus qu'un travail pour moi, c'est une passion, ça fait partie de ce que j'aime faire, c'est là que je m'exprime, un peu comme un peintre. Je travaille par touches et j'avance comme ça, au fur et à mesure. Je pense que même quand je ne travaillerai plus, je continuerai à broder.

LNA : Le commun des mortels critiquent les prix des robes haute couture sans savoir pourquoi et combien vous coûte l'investissement en argent et en temps. D'autres disent " une robe haute couture n'est jamais assez chère " ! Chez les jeunes créateurs en France, il faut compter un minimum de 15.000 euros pour une robe. Dans une grande Maison, au moins 30.000 euros. Chez vous, Monsieur Pierre Gauthier, quel serait le prix de la robe la plus chère et pourquoi?

PG : Ca peut être démesuré, ça dépend totalement du temps qu'on y met. On compte bien sûr notre temps de travail, notre création. Chez nous, une robe peut coûter de 4000 à 30000 euros, certainement. Une robe peut représenter 4 mois de travail, 400 heures de travail. Si on compte le travail, les matières... le prix peut être très, très variable. Mais ça vaut toujours le prix parce que le travail est en conséquence.

LNA : Les initiés vous connaissent et savent que vous faites du sur-mesure et de l'artisanat main en exclusivité. Vous arrive-t-il de créer du prêt-porter de luxe ?

PG : Il y a 4 ans, nous avons essayé de présenter, avant notre défilé couture, une dizaine de modèles que nous aurions pu décliner en prêtà- porter de luxe. Nous nous sommes très vite rendu compte que nous n'étions jamais satisfaits de la manière dont le vêtement tombait. Alors, à force de le retoucher, de le démonter, il devenait presque une pièce couture à la fin et nous perdions un temps et un argent fous ! Je pense que je pourrais très vite comprendre en quoi consiste le prêt-à-porter et si on me le demandait, je serais tout à fait capable d'en faire, mais ce ne serait pas à nous de le vendre ni de le distribuer. D'autres devraient s'en charger....

LNA : Après un parcours bien rempli dans les sphères de la Classe, que nous réservez-vous encore ?

PG : J'aimerais avoir beaucoup de projets ! Mais vu la crise économique, que l'on ne peut pas nier, faire des projets actuellement est plus difficile. Cependant, nous avons été contactés pour un grand projet sur Durbuy, pour un projet au Liban également, pour un défilé pour une grande banque... Mais rien de très précis ni de très proche dans le temps. Et rien de très certain non plus en ces temps difficiles. Nous vivons au jour le jour. Nous sommes parfois contactés par des personnes très connues. Nous travaillons pas mal avec des premières Dames d'Afrique..., comme par exemple la première Dame du Congo-Brazzaville, Madame Marie-Antoinette Sassou, et aussi sa soeur, Madame Carlos Poto Anne-Emilie.

LNA : En nous immergeant dans vos créations, nous pouvons y voir l'émergence de la FEMME DIVINE, la FEMME faite FEMME, TRANSCENDEE. Et l'on se pose la question : d'où vous vient cette UNICITE de votre art haute couture, Monsieur Pierre Gauthier ?

PG : Je fais les choses naturellement. Je suis constamment inspiré. La chose la plus facile pour moi, c'est d'IMAGINER des choses. L'inspiration est toujours présente, j'ai rarement des pannes. Mais la réalisation, c'est parfois tout autre chose. Il me faut aussi des plages de repos et je m'inspire beaucoup de la nature. J'ai besoin de la nature régulièrement pour me ressourcer. Voilà mes secrets !

LNA : Merci à vous, Monsieur Pierre Gauthier et Madame Esmeralda Ammoun de m'avoir reçu pour Le nouvel Afrique en vos ateliers haute couture.

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