Article publié le 2011-03-09 par Propoos recueillis par Madimba Kadima-Nzuji Politique
Interview du Ministre Endundo - Cancun - Un rendez-vous gagnant de la République démocratique du Congo [02/2011]
José Endundo © United Nations Development Programme

Consensus obtenu dans la nuit du 10 au 11 décembre 2010, les accords de Cancun ont sauvé les négociations climatiques et par là le multilatéralisme climatique. Le Ministre José Endundo, en charge des questions de développement durable, nous éclaire sur les enjeux de Cancun et le rôle de la République démocratique du Congo sur l’échiquier mondial. Retour sur un des nouveaux enjeux de ce siècle.

Le Nouvel Afrique - La Conférence de Cancun sur le changement climatique estelle un échec ou une réussite ?

Ministre José Endundo - Ni un échec, ni vraiment une réussite. C’est un accord minimal, mais qui ouvre des perspectives nouvelles et qui rétablit la confiance après l’échec de Copenhague. Cela nous permet de préparer avec nos frères Sud-africains la prochaine conférence climatique à Durban qui plus que probablement ouvrira de nouveaux horizons.

LNA – En l’absence d’objectifs chiffrés, de dates butoirs ou d’instruments juridiques plus contraignants qu’à Copenhague, pouvons-nous parler de réussite ?

MJE - Sur ce point, nous avons été confrontés à la détermination de la Chine et des Etats-Unis, appuyés par le Japon et d’autres pays. La Conférence de Cancun sur le plan de la limitation des émissions de gaz à effet de serre est un échec. Cependant, en matière d’atténuations liées aux dégradations environnementales, la création du fonds vert va permettre de dégager des ressources financières. La deuxième pierre d’achoppement a été le mécanisme MRV (Mesure, Rapportage et Vérification). Certains pays pour échapper à ce dispositif évoquent la notion de souveraineté. Et peu de pays se rendent compte que la négociation climatique est un contexte sans précédent, qui remet en cause des principes séculaires comme la souveraineté.

LNA – La création d’un fonds vert est saluée par tous les pays. Il est prévu de doter ce fonds de 100 milliards de dollars par an, mais aucun consensus ne se dégage quant à son financement. N’est-ce pas une utopie ?

MJE – En aucun cas. Nous avons décidé de la création d’un fonds vert de 100 milliards de dollars annuels, nous sommes entrain d’étudier plusieurs mécanismes de financements, essentiellement des taxes sur le plan des marchés financiers, des transports… Il faut mettre l’accent sur l’engagement des pays industrialisés à alimenter ce fonds à hauteur de 100 milliards annuels pour la lutte contre le changement climatique. Il faut comparer ce chiffre avec ce que demandaient les pays en voie de développement soit 1% voire 1,5 % du PIB mondial équivalent à 500 à 750 milliards de dollars. Après de nombreuses et longues tractations, la Banque mondiale est constituée en instrument de mise en oeuvre de ce fonds vert avec 24 pays réunis au sein d’un conseil administration.

LNA – Les accords de Cancun sont composés de deux textes. Le premier parle de la continuation du Protocole de Kyoto, l’autre de l’architecture de la Convention climat. Si aucun accord n’est trouvé à propos du Protocole de Kyoto à la Conférence de Durban, que fait-on ?

MJE – Cancun n’a pas parlé beaucoup du Protocole de Kyoto. Pour certains pays évoquer Kyoto, c’était mener les négociations à l’échec ! D’ailleurs, le Japon, premier pays concerné, ne veut pas signer le Protocole de Kyoto parce qu’actuellement, seulement 22 % des émissions sont prises en compte alors qu’à la signature du Protocole, 46 % des émissions étaient concernées. Le statu quo était préférable si l’on voulait un accord. En définitive nous nous sommes engagés dans des négociations à petits pas. Dans notre esprit ce qui est gagné doit être préservé. Désormais il faut se focaliser sur deux objectifs : bâtir l’architecture financière du fonds vert et préparer les avancées qui permettraient à Durban d’être une réussite.

LNA – Rejoignez-vous les voix qui disent qu’à Cancun, le multilatéralisme a été sauvé ?

MJE – Absolument ! J’en sais quelque chose, puisque c’est la RD Congo qui conduit la délégation des 53 pays africains à ces négociations. Déjà, les pays africains n’ont pas sur tous les domaines les mêmes objectifs : ainsi la situation de la RD Congo, premier pays forestier d Afrique n’est pas la même que les pays sahariens ou sahéliens. Il faut savoir qu’on a affaire à 192 parties, avec des pays plus concernés que d’autres notamment les pays insulaires qui vivent une situation dramatique et qui seront pour quelques uns appelés à disparaître. Ceux qui pensent qu’on peut aboutir à un bing bang dans ce processus se trompent, ce ne sera malheureusement qu’un processus évolutif. On gagne ce que l’on a gagné et là-dessus, on bâtit pour l’avenir. Il faut négocier, trouver des consensus sinon le monde arrivera à une situation climatique qui imposera à tous des règles drastiques. Il faut privilégier la démarche du partiel progressif sur un absolu utopique.

LNA – En l’absence de la Chine et des USA, ne s’engage-t-on pas finalement à des négociations perpétuelles et à peu de réalisations sur le terrain ?

MJE – J’ai eu souvent à le répéter au cours d’apartés nombreux que le groupe Afrique tient dans ces rencontres : dans le cadre des pays africains, le mieux est l’ennemi du bien. Pouvons-nous obtenir une décision viable en excluant les grands ? Aujourd’hui en termes de mécanismes financiers, pouvons- nous nous permettre d’exclure les USA, l’Europe et la Chine devenue deuxième économie mondiale et bailleur de l’Europe, qui par ailleurs a toujours été proche de nous dans ces négociations, ou le Japon, troisième économie mondiale ? Tous ces pays ont leurs alliés directs, visibles ou invisibles, comme nous l’avons vu à Cancun pendant les négociations. Cela n’est simplement pas possible. En termes de mobilisation de ressources, ce sont des pays incontournables et nécessaires pour mettre en place une solution globale contre le changement climatique. La lutte contre le changement climatique crée un mécanisme de solidarité internationale obligatoire : tout le monde est perdant ou tout le monde est gagnant. La responsabilité historique est là, nous le savons, mais c’est dans les pays pollueurs qu’il y a des moyens financiers et techniques à même d’assurer la lutte contre le changement climatique

LNA – La notion d’écocide proposée par la délégation bolivienne peut-elle faire l’objet d’une infraction internationale et être intégrée dans les Statuts de Rome portant création et organisation de la Cour Pénale Internationale?

MJE - A nouveau, je répète : le mieux est l’ennemi du bien. Aujourd’hui, pouvonsnous envisager d’attraire la Chine ou les USA devant la CPI pour cette infraction ? C’est vouloir l’arrêt du processus de négociations. D’ailleurs, la perception de pollueur est différente pour chaque pays. C’est clair, les Etats-Unis sont historiquement les premiers responsables de la pollution dans le monde. Et si la Chine aujourd’hui est devenue premier pollueur de la planète , pour les Chinois et c’est ce que leur Ministre de l’environnement m’a affirmé dans un entretien, la Chine n’est que le 72ème pays émetteur par tête d’habitants. Dans dix ou vingt ans, il y aura peut être un mécanisme international de répression d’infractions liées à l’environnement. Il s’agit d’affronter un problème commun à toute l’humanité et cela ne passera pas par la désignation de coupables et de victimes. Je répète : adopter la position de la Bolivie, c’est condamner tout accord. Par exemple, si nous mettons à l’écart ces pays, comment allons-nous alimenter le programme REDD+ (Réduction des émissions dû à la déforestation et à la dégradation) qui profite à la RDC.
Gardons l’édifice difficilement bâti qui s’articule autour d’un principe accepté par tous : Tous nous avons une responsabilité commune mais différenciée, vision établie à la Conférence de Bali.

LNA – Le fonds vert et le programme REDD+ renforcent-ils la position géostratégique de la RD Congo ?

MJE – De manière certaine. La RD Congo a renforcé sa position, il est un des grands en matière d’environnement. La RD Congo joue un rôle très important dans la lutte contre le changement climatique, voire disproportionné en comparaison à ce qu’on a connu auparavant. Dans le mécanisme REDD, la RD Congo est une puissance. Nous avons été le premier pays à avoir une certification REDD. Et lorsque les 100 milliards annuels du fonds vert seront sur la table, REDD+ qui équivaut à 20 % de ce fonds soit 20 milliards annuels permettra à la RD Congo de bénéficier d’au moins 10 % soit de 2 milliards. La RD Congo aurait donc à sa disposition quasiment l’équivalent de son budget annuel interne actuel pour l’aider à combattre la déforestation et la dégradation de l’environnement et assurer la lutte contre la pauvreté.