Article publié le 2011-01-10 par Par Mark Van Yetter Culture
Turquie - Dépeindre une plus grande ouverture [08/2010]
Santralistanbul © Colm McMullan

Si l’on observe le monde de l’art aujourd’hui, il y a un aspect qui ressort clairement. La trajectoire de l’art contemporain, concentré en Europe du Nord-Ouest et aux Etats-Unis, est en train de changer d’axe. En effet, les pays comme la Turquie, qui pendant longtemps n’ont pas pu apporter leur contribution, sont impatients de s’imposer en tant qu’acteurs dans l’industrie de l’art.

Plusieurs centres d’art, musées et galeries de qualité se sont installés en Turquie ces dix dernières années – et cette tendance semble s’accroître. Ces établissements ont beaucoup oeuvré pour montrer la tradition d’art contemporain en Turquie, centrée à Istanbul.

Parmi ces lieux d’exposition, il y a le remarquable complexe artistique et culturel appelé SantralIstanbul qui a récemment présenté une rétrospective magnifiquement organisée de l’artiste turc de 76 ans, Yüksel Arslan. Exilé volontaire à Paris pour éviter que les thèmes socialistes et satiriques de son oeuvre, qui portent sur la classe ouvrière, ne soient censurés, l’artiste est retourné en Turquie en 2009 pour une exposition de sept mois.

En mai 2010, un nouvel espace d’exposition, Rampa, a accueilli un grand nombre d’oeuvres de Cengiz Çekil, un artiste qui passe pour avoir introduit l’art conceptuel en Turquie, et dont le travail reflète les tensions politiques et sociales avant le coup d’Etat militaire de 1980. BAS, une autre galerie digne d’intérêt, a récemment présenté une exposition de magazines et d’oeuvres de KORIDOR, un groupe d’artistes ayant travaillé entre 1988 et 1995. Ce n’est qu’aujourd’hui que l’on voit bon nombre de leurs oeuvres dans des points de vente traditionnels en Turquie.

Ce mouvement reste toutefois modeste. Les forums pour la culture et la diffusion de l’art ne sont apparus que récemment, au moment où le public turc a commencé à s’intéresser aux mouvements artistiques.
Compte tenu des plus grandes réalisations dans le domaine de l’art contemporain en Occident, il est évident que les artistes qui ont radicalement ébranlé les valeurs sociétales et culturelles en vigueur sont ceux qui ont joué le plus grand rôle.
Des artistes occidentaux comme l’allemand Joseph Beuys, considéré comme l’un des artistes majeurs du XXème siècle, ont contesté l’idée selon laquelle l’art doit se limiter à la fabrication d’objets. Joseph Beuys a développé l’idée de « sculpture sociale » et a considéré la société elle-même comme une oeuvre d’art compliquée que tout le monde contribue à créer. A titre d’exemple, pour faire naître l’écoconscience et susciter un changement social, Joseph Beuys a planté sept mille chênes à Cassel (Allemagne), avec l’aide de volontaires. Une colonne de basalte a été disposée près de chaque arbre, créant ainsi une sculpture collective intitulée ‘’7000 chênes’’.
De même, un groupe d’artistes et d’écrivains turcs ont eu recours à l’art contemporain pour s’insurger contre le meurtre du rédacteur en chef de l’hebdomadaire édité en arménien et en turc Agos, Hrant Dink, un défenseur des droits de l’homme. Créant une oeuvre d’art grandeur nature, les artistes se sont couverts de journaux et allongés dans la rue, où Hrant Dink a été assassiné, en signe de protestation contre la mort de ce dernier et contre la controverse qui entoure la couverture faite par son journal sur l’opinion de la société turque relativement à l’exécution d’Arméniens par les forces ottomanes en 1915.
Mais pour comprendre le nouvel intérêt pour l’art contemporain turc, il faut d’abord se pencher sur l’histoire moderne du pays. Le dernier coup d’Etat militaire survenu en Turquie remonte à 1980. L’armée, qui protège énergiquement le système politique laïque de la Turquie, a eu recours à des méthodes violentes, comme la menace de journalistes et l’assassinat d’intellectuels de gauche, pour conserver le système laïque pendant les années qui ont précédé et suivi le coup d’Etat de 1980. N’ayant pas d’espace pour contester le statu quo, le milieu artistique de la Turquie moderne est, pendant longtemps, resté dans l’ombre.
Depuis la fondation de la République, la société turque n’a ni eu l’occasion ni les moyens de se montrer ouvertement critique à l’égard du pouvoir militaire. La République a poursuivi le programme ottoman qui consistait à soutenir l’art essentiellement en tant qu’instrument pour renforcer le sentiment national. A preuve, le grand nombre de commandes de portraits et statues du fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Ataturk.

Néanmoins, du fait en partie des nouvelles mesures liées à la candidature de la Turquie à l’UE et d’une plus grande exposition globale grâce à internet, les dix dernières années ont vu apparaître une société plus ouverte au dialogue et à la discussion sur différents sujets sociaux et politiques. La société turque est maintenant plus disposée à faire face à son lourd passé. Des questions qu’il n’était pas permis d’aborder sont désormais ouvertes à la discussion.

C’est pour moi le plus grand espoir de voir émerger une société turque plus ouverte, une société qui oeuvre pour un avenir plein de promesses. Grâce à un environnement plus propice au dialogue, nous voyons maintenant apparaître les bases nécessaires au développement d’un art contemporain turc intéressant.