Article publié le 2010-04-27 par Par David Commeillas Culture
Victor Démé - Un destin exceptionnel pour un chanteur mandingue [04-2010]
Victor Démé
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Il y a deux ans, Victor Démé atterrit à l’aéroport de Paris, en provenance de Ouagadougou. Le chanteur de 47 ans vient de prendre l’avion pour la première fois de sa vie. Il débarque dans la capitale pour donner son premier concert en Europe. Ce concert n’est que le début d’une longue série de spectacles à travers la France d’abord, puis sur le vieux continent.


L’atelier de couture

Victor Démé est né Seybou Victor Démé. Il hérite tout jeune de l’amour de la musique par sa mère, une griotte sollicitée pour les grands mariages et les baptêmes à Bobo-Dioulasso dans les années soixante. Mais c’est dans le petit atelier de couture paternel en Côte d’Ivoire, à Abidjan, que Victor s’exile à l’âge de l’adolescence. Le jour, il travaille à la boutique, et la nuit, il fréquente les clubs de la ville. À vingt ans, il se forge une réputation sur les scènes de la capitale ivoirienne, notamment au sein du fameux orchestre Super Mandé, mené par Abdoulaye Diabaté. Puis il rentre au Burkina en 1988 où il gagne plusieurs prix musicaux, e.a. le concours du CCF en 1989 et le premier prix de la Semaine Nationale de La Culture en 1990. Il est alors successivement recruté par de grands orchestres, dont l’Echo de l’Africa et surtout le Suprême Comenba qui rythme les nuits de Ouagadougou.


Le destin éloigne

Mais alors que Victor Démé est devenu un chanteur populaire, le destin l’éloigne de la musique pendant plusieurs années. Lorsqu’il tente de revenir après une longue absence, rien n’est facile, et pour gagner sa vie, il doit souvent se plier aux exigences des propriétaires de clubs et maquis qui lui réclament surtout des classiques de Salif Keita ou de Mory Kanté. Heureusement, Victor continue en parallèle d’affiner ses propres compositions. En 2007, quatre français, dont Camille Louvel, David Commeillas et les activistes de Soundicate, décident de fonder le label Chapa Blues pour soutenir sa musique. À quarante-six ans, il enregistre donc son premier album dans le studio de l’association Ouagajungle, résidence d’artistes à Ouagadougou.


Son premier album

Sur ce premier album il offre une mosaïque singulière de mélodies folk-blues aux influences latines. En langage dioula, une chanson comme ‘Burkina Mousso’ est un hommage à toutes les femmes burkinabés «qui ont construit ce pays de leurs mains». Ses textes appellent à la solidarité nationale, prônent la tolérance envers son prochain et tissent des hymnes à la grâce féminine. Le disque s’achève par deux morceaux traditionnels mandingues. Ce premier album éponyme présente ainsi au public toute la richesse du répertoire de ce chanteur hors pair.  C’est un disque produit de façon complètement indépendante avec deux mille euros de budget seulement. Mais c’est  un succès au-delà de toute espérance: Il est sélectionné parmi les dix albums de l’année dans le fameux mensuel anglais Songlines, puis élu «album de l’année 2008» par les auditeurs de France Inter. Son clip passe au Grand Journal de Canal +, ses chansons culminent en tête des playlists de entre autres Radio Nova et France Inter.  


De troubadour mésestimé à l’artiste international

Alors que sa réputation enfle au fil des mois, Démé et son groupe sont conviés dans les plus prestigieux festivals en France et à l’étranger: Le Printemps de Bourges, Jazz-Sous-Les-Pommiers, le Festival du Bout du Monde, les Suds à Arles, le Womad en Espagne et en Angleterre, Couleur Café et Sfinks en Belgique, le Womex à Copenhague, et bien d’autres. En  moins de deux ans, Victor Démé passe du statut de troubadour mésestimé et sans un sou, chantant Marley et Salif Keita dans les petits clubs africains, au rang d’artiste international reconnu de Londres à Paris pour la finesse de ses compositions originales. Ce succès fut pour lui si soudain, si inattendu, si fulgurant, si vertigineux que... Rien. Enfin, presque rien. Certes, avec l’argent que sa musique lui a rapporté, il a pu regrouper sa famille. Il a fait revenir ses filles de Cote d’Ivoire pour les élever lui-même au Burkina. Dans la grande cour familiale de son père, il a installé l’eau courante, ainsi qu’un compteur électrique sur lequel les voisins viennent aussi se brancher. Ce confort moderne n’est pas un détail pour lui et les siens, loin s’en faut. Mais dans le fond, tout cela n’a pas changé le caractère bien trempé du personnage: après avoir goûté la fine cuisine de quelques restaurants étoilés à Rome ou à Paris, il continue de préférer manger du tô, un plat populaire du Burkina à base de farine de mil. Et lorsqu’il voyage plus de quelques semaines à l’étranger, il ne rêve que de rentrer à Bobo-Dioulasso pour retrouver ses six filles, ses amis, et ses vieux compagnons de route avec qui il passe ses soirées à jouer de la guitare et à boire du chapalo dans les cabarets du quartier.


Ma guitare et moi

Pour son nouvel album non plus, Victor Démé n’a pas souhaité bousculer ses habitudes. Les studios fastueux de Londres ou de Paris ne l’ont jamais vraiment impressionné. «Pour composer de nouveaux morceaux, je n’ai besoin que de ma guitare et de me sentir bien. J’aime être dans ma cour à Bobo, et j’enregistre au studio à Ouagadougou, je suis tranquille. Chez nous, on dit toujours: «Le poulet qui est dans ta cour, c’est ton poulet!». Ça veut dire qu’il faut composer avec ce que tu as. Le Burkina n’est pas très riche, mais nous avons un peuple de valeur. On peut construire de grandes choses. Victor a donc enregistré ce second disque dans le même studio, le Ouagajungle, en compagnie de la même équipe de musiciens que pour le premier album. Issouf Diabaté d’abord, reste son arrangeur et chef d’orchestre, son guitariste virtuose, irrésistible lorsqu’il se lâche sur le solo de Banaïba ou sur celui de Deén Wolo Mousso. Comme d’habitude, les deux frères Diarra l’accompagnent également à la kora, aux percussions et aux chœurs. De nombreux autres talents de la scène ouagalaise ont aussi participé à l’enregistrement: Adama Dramé au tamani, Ablo Zon aux caisses claires et cymbales, Levy Kafando aux claviers.


Un nouvel album

On retrouve sur ces quatorze nouvelles chansons la voix unique de Démé, sa générosité, et son sens imparable des mélodies toujours sur le fil entre les folklores mandingues et le blues-folk américain. En comparaison au premier album, quelques instruments additionnels viennent enrichir les compositions: les cordes se marient allégrement avec le piano à bretelle de Fixi (du groupe Java) sur une valse étrange, un tourbillon d’accordéon hypnotique intitulé «Meka Déen». Le violon de Dimitri Artemenko enlumine des titres sobres et poignants («Hinè Ye Deli Lé La», «Teban Syala»), puis il louvoie avec espièglerie entre les lignes de basse de «Sina». Après une dizaine de chansons blues mandingues, l’épilogue de ce second album dévoile aussi d’autres inspirations de Victor Démé, un côté plus dansant, festif, et même des refrains country assez cocasses. Car si Victor a grandi en écoutant Mory Kanté et en chantant dans l’orchestre d’Abdoulaye Traoré en Côte d’Ivoire, il a aussi toujours admiré le jeu de  jambe d’Elvis Presley à la télévision, ainsi que les B.O. de  Sergio Leone, et les westerns «avec les maisons en bois» comme il aime lui-même le préciser. Dans le bus pendant les tournées, il regarde en boucle des classiques comme «Le Bon, La Brute et le Truand» et «Il Etait Une Fois Dans L’Ouest». Sur ce nouveau disque, l’harmonica de Damien Tartamella appuie ces ambiances de saloon africain («Kéeba Sekouma»). Le tracklisting alterne donc entre des morceaux purement traditionnels, («Tanikele») et des titres plus surprenants, telle la pulsation afro-beat de Wolo Baya Guéléma, tunnel de basse et de guitare funk abrasive sur lequel Femi Kuti souffle avec ardeur au saxophone. Réalisé par Camille Louvel à Ouagadougou, édité avec David Commeillas en France, l’album fut finalement mixé au studio Zarma par Sodi, le producteur et ingénieur du son de Fela autrefois, de Femi Kuti aujourd’hui. Tout cela explique en partie le cachet authentique du son, brut et direct, travaillé en studio avec la volonté de ne jamais le dénaturer, ni de l’aseptiser.


Un incroyable destin

La sortie du nouveau disque de Victor Démé est synonyme de seconde campagne internationale pour le chanteur et son groupe. Après plusieurs mois passés au pays, Victor doit momentanément laisser sa famille, ses assiettes de tô, et ses maquis burkinabès pour reprendre la route. Cette fois, les avions en provenance du Burkina ne se poseront pas seulement en France ou dans les grandes capitales européennes: des concerts au Summer Stage dans Central Park à NYC et au Montréal Jazz Festival sont déjà prévus pour le mois de juillet, alors que le Japon se profile en automne. L’incroyable destin de Victor Démé se poursuit.



http://www.myspace.com/victordeme
25 avril 2010 à Amsterdam, Bimhuis (NL)
30 avril 2010 à Anvers, Zuiderpershuis (B)
1 mai 2010 à Cologne, Stadtgarten (D) 


Quelques chansons

*Méka Déen/Les enfants Méka
«J’appelle les jeunes de notre ethnie à perpétuer nos traditions de respect, d’intégrité, de sincérité, et surtout de bienveillance envers les parents et les anciens.»
 *Teban Siyala/Je ne renie pas mon ethnie
«On m’a toujours regardé et considéré différemment car je suis issu d’une famille griot. Pourtant, depuis la nuit des temps, le griot a un rôle essentiel à jouer pour l’Afrique et mérite le respect. Je suivrai donc avec fierté le chemin ouvert par mes ancêtres.»


Chapa Blues Records

Le  ‘Chapalo’ ou ‘Chapa’ désigne la bière de mil servie dans les calebasses des cabarets burkinabés, et qui se déguste en écoutant les chanteurs de quartier. Les cabarets sont des lieux populaires où les racines folk et blues vibrent toujours aussi fort. Comme le blues américain a son bourbon et son scotch, le blues africain a son chapalo et son dolo.
http://chapablues.com/