Article publié le 2010-04-27 par Par Daouda Emile Ouedraogo Editorial
Alternance en Afrique un idéal piégé? [04-2010]
LNA 19 / avril 2010
L’alternance démocratique à la tête des Etats africains est un sujet récurrent dans les débats des politologues africains. Presque toutes les constitutions africaines, calquées sur les modèles des puissances colonisatrices, limitent le mandat présidentiel, généralement à deux consécutifs. Certains Etats ont opté pour cinq ans, d’autres sept ans. Selon l’évolution de la vie sociopolitique, des chefs d’Etats optent pour faire sauter le verrou constitutionnel de la limitation des mandats. Les pays qui en ont fait les frais ne manquent pas. Récemment le Niger (cela s’est soldé par un coup d’Etat), le Burkina Faso, le Sénégal, le Bénin, le Libéria pour ne citer que ces pays. Si dans certains pays, les clauses de la modification de la Constitution, sont incorporées dans la même loi fondamentale (cas du Burkina Faso) dans d’autres, le verrou est indéboulonnable (cas du Niger). De facto, lorsqu’on parle de reformes constitutionnelles en général et de la relecture de la Constitution en particulier, certains esprits s’échauffent sans prendre la peine de comprendre les différents enjeux africains. L’alternance en Afrique ne doit être perçue comme un droit de veto. De même qu’on ne fait pas de la politique par procuration, de même, les africains doivent prendre sur eux le pouvoir de diriger leur nation avec responsabilité et un sens élevé de l’intérêt général des populations.

L’histoire de l’Afrique est une succession de civilisations qui s’est nourrie et se nourrit du socle d’une société ancienne organisée et disciplinée. L’Afrique, avant l’arrivée du colonisateur, était un agglomérat de peuples et de civilisations ayant pour richesses des valeurs politiques, morales et économiques en phase avec leurs réalités. Cheick Anta Diop (1) a démontré la profondeur et la noblesse de la civilisation égyptienne, mère de toutes les civilisations. Or, l’alternance, qui est un nouveau mot, sinon nous dirons la succession sur le trône du pharaon se faisait de père en fils. Un peu plus dans le sud du Sahara, existait le royaume mossi. L’une des sociétés les plus organisées et civilisées, selon des chercheurs blancs venus en Afrique au temps colonial. Là aussi, la succession sur le trône du Mogho Naba, l’empereur des mossi se fait de père en fils. Personne n’y trouve à redire. Aujourd’hui, on parle de société moderne; on parle d’Etats indépendants et souverains; on parle de démocratie qui est le pouvoir du peuple pour et par le peuple. On a séparé la royauté de l’Etat contemporain.  Mais la séparation a été mal faite dans la mesure où les souverains, les rois d’Afrique dont la succession se fait de père en fils, sont plus démocratiques que nos Etats. Et, pourtant, on n’y voit pas un cassus beli. L’alternance est un idéal piégé pour les Africains. Les statistiques des conflits en Afrique montrent un regain de conflits dans les Etats après l’avènement de la démocratie en 1990. Des constitutions ont été votées. Or à l’analyse, qu’est-ce qu’une constitution? C’est « un ensemble de règles suprêmes fondant l’autorité étatique, organisant ses institutions, lui donnant ses pouvoirs, lui imposant ses limitations, en particulier en garantissant des libertés aux sujets et aux citoyens». De facto, elle a été faite par des hommes et aucune loi n’est immuable sinon, ce serait tombé dans l’inertie. Toute entreprise, sujette à évolution, est obligée d’être reformée. Cela n’a pas pour cause d’ériger des dictateurs dans nos pays africains mais plutôt d’analyser les réalités africaines en phase avec l’histoire des origines africaines sous le prisme des sociétés dites modernes. Sous la troisième République française, Alexis de Tocqueville (2), d’abord adepte de la limitation du nombre de mandats présidentiels, est devenu, au vu des réalités un défenseur des mandats illimités, pourvu que le bénéficiaire en porte tout le mérite. L’Afrique n’est pas contre l’alternance mais, cette alternance ne doit pas être piégée. Ce serait faire du tort à l’Afrique et à ses enfants.


(1) Cheikh Anta Diop (1923-1986) est un historien et anthropologue sénégalais.
(2) Alexis Henri Charles Clérel, vicomte de Tocqueville, fut un penseur politique, historien et écrivain français. Il est célèbre pour ses analyses de la Révolution française, de la démocratie américaine et de l’évolution des démocraties occidentales en général.