Article publié le 2019-02-21 par Vincent de la Rue Société
Prix Nobel de la paix 2018 - Pourquoi Denis Mukwege et Nadia Murad ont été primés
Nadia Murad Par Frank Schwichtenberg — Travail personnel, CC BY-SA 4.0
Denis Mukwege. Par Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons - CC BY-SA 3.0
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Le 5 octobre 2018 à Olso en Norvège, le prix Nobel a été décerné à Denis Mukwege et Nadia Murad pour leurs efforts visant à mettre fin à l'utilisation de la violence sexuelle comme arme de guerre. Mais qui sont-ils ? Pourquoi le comité Nobel les a-t-il primés ?

La présidente du comité Nobel norvégien, Berit Reiss-Andersen, a précisé que le prix de l’édition 2018 visait à « faire prendre conscience que les femmes représentent la moitié de la population et sont utilisées comme des armes de guerre. Elles ont besoin de protection et les auteurs de ces crimes doivent être poursuivis ».

« L’homme qui répare les femmes »

Né le 1er mars 1955 à Bukavu dans le Kivu (RDC), Denis Mukwege, 63 ans, est un gynécologue et militant des droits de l'homme congolais. Surnommé « l'homme qui répare les femmes », il a reçu de nombreuses distinctions pour son engagement contre les mutilations génitales pratiquées sur les femmes en RDC, dont le prix Sakharov en 2014. Ce chirurgien au charisme impressionnant répare les femmes mutilées par des pillards dans son hôpital de Panzià Bukavu, (la capitale de la province du Sud-Kivu). Il fait face à la terreur : viols collectifs, avortements à mains nues, utérus et seins sectionnés. Outre le traumatisme, les dégâts physiques occasionnent des plaies purulentes, des incontinences, une stérilité qui condamnent ces femmes à vivre dans la misère et l’isolement. Avec ses équipes, il installe un suivi psychologique, encourage les patientes à faire des études ou se former, propose des cours d'alphabétisation ou encore les accompagne sur un plan judiciaire.

Selon Paris Match, depuis 1999, Denis Mukwege aurait redonné leur dignité à près de 40 000 femmes de la région. Il a même échappé à une tentative d’assassinat en 2012 parce qu’il dérange les autorités congolaises et les milices locales, prêtes à tout pour faire main basse sur le coltan, un minerai indispensable à la fabrication des téléphones portables notamment les smartphones. « Il y a un manque de volonté politique pour faire cesser ces violences. Nous avons besoin d’actions concrètes. Les commanditaires et les responsables doivent répondre de leurs actes et payer. Il ne suffit pas de choisir trois ou quatre seigneurs de guerre et de les juger », a-t-il affirmé lors d’une interview à Paris match.

Pour lui, recevoir cette distinction prestigieuse est un appel à la mobilisation de la communauté internationale autour de cette tragédie qui doit devenir une priorité absolue afin que cessent ces horreurs quotidiennes. Il appelle à engager des moyens militaires importants pour protéger les villages ciblés par les bandes qui utilisent le viol et la mutilation sexuelle comme une arme de guerre. Ou à donner bonne conscience aux dirigeants politiques et économiques chinois, américains et européens, qui se complaisent dans une duplicité criminelle, condamnant d’une main ces monstruosités et profitant du système de l’autre. L'action du Dr Mukwege pour venir en aide aux femmes violées, au moyen des opérations de chirurgie réparatrice qu'il pratique à l'hôpital de Panzi de Bukavu a fait l'objet de deux films documentaires. « 2014 : Congo, un médecin pour sauver les femmes », d'Angèle Diabang, « 2015 : L'Homme qui répare les femmes: La Colère d'Hippocrate » de Thierry Michel et Colette Braeckman.

Ambassadrice de l’ONU pour la dignité des victimes du trafic d’êtres humains

Nadia Murad, née en 1993 à Kocho, un village près de Sinjar en Irak, est une militante irakienne des droits de l'homme, d’origine kurde et issue de la communauté yézidie. Elle est l'une des 3000 femmes Yézidies qui ont été victimes de viol et d'autres abus de la part de l'armée de Daech à Mossoul en Irak. Selon le courrier international, violée, torturée et échangée entre combattants, Murad, alors âgée de 21 ans, trouve un moyen de s’échapper quand elle est vendue à un djihadiste à Mossoul qui laisse sa porte d’entrée ouverte. Elle s’enfuit au Kurdistan en se faisant passer pour l’épouse d’un homme. Depuis, elle se bat pour que les persécutions à l’encontre des yézidis soient reconnues comme génocide. Après avoir lancé un appel en décembre 2015 à la tribune du Conseil de sécurité des Nations unies, elle est depuis 2016 ambassadrice de l’ONU pour la dignité des victimes du trafic d’êtres humains.

Recevoir le prix Nobel 2018, Nadia Murad a affirmé que : « Cela signifie beaucoup, pas seulement pour moi mais pour toutes ces femmes en Irak et dans le monde entier ». Et d’ajouter que : « Pour toutes ces petites communautés qui sont persécutées, ce prix me dit que leurs voix sont entendues. Nous espérons que ce sera une voix pour toutes les femmes qui souffrent de violences sexuelles dans de nombreux autres conflits». La militante yézidie en appelle aujourd'hui à l'aide de la communauté internationale pour ces femmes en détresse. « Leur situation économique est très mauvaise mais surtout elle n'ont plus de statut social. Donc, nous demandons à la communauté internationale de leur apporter un soutien psychologique, économique et social », lance-t-elle.

Le prix Nobel de la paix récompense la personnalité ou la communauté ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix, selon les volontés, définies par testament, d'Alfred Nobel.