Article publié le 2012-07-04 par Par Daouda Emile Ouedraogo Editorial
La démocratie, un mal nécessaire ? [02/2012]
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Au tournant de l’histoire, une forme de gestion de la chose politique et publique s’est présentée à l’humanité comme la forme la mieux indiquée pour l’épanouissement des peuples. Certains l’ont appelée «démocratie», d’autres, «le pouvoir du peuple par le peuple». Depuis les indépendances, elle a été expérimentée d’une manière ou d’une autre à travers le système des partis uniques en Afrique. A partir du discours de la Baule, cette forme de régime politique s’est invitée sur le continent par le truchement des puissances colonisatrices, avec l’instauration du multipartisme. La démocratie, alors, se veut le pouvoir du peuple par le peuple. Georges Bernanos parle «du citoyen qui fait la république». Mais, sur un continent marqué par l’analphabétisme, les traditions ancestrales, les relations interethniques où des accords non écrits lient des peuples, cette forme d’expression politique a du mal à se faire une place au soleil. Les dirigeants des États, parvenus au pouvoir à la suite de l’accession de leur pays à l’indépendance, veulent tout garder. Le pouvoir se «despotise.» Confrontés aux réalités de la pratique de cette forme de gouvernance, des dirigeants africains ne parviennent pas à s’adapter. Pourquoi ? Pour plusieurs raisons. Premièrement, les dirigeants africains n’ont pas eu le temps de maîtriser les contours de la pratique démocratique. Deuxièmement, la plupart des constitutions des nations africaines, ont été calquées sur le modèle des puissances colonisatrices. Troisièmement, les peuples ont été amputés de la gestion de la chose publique parce qu’ils avaient du mal à comprendre un système politique qui leur a été imposé. Conséquences : plusieurs États africains se positionneront comme des faire-valoir de la pratique démocratique. On modifie les constitutions à souhait ; on crée et recrée des structures et des institutions pour répondre aux exigences des institutions internationales. Un déphasage s’installe entre les réalités des pratiques démocratiques sociologiques des peuples et celles venues de l’extérieur. L’illusion d’avoir collé un sparadrap sur une plaie cicatrisée se propage. Les Africains cherchent alors leurs marques. Dans l’ouvrage intitulé «Philosophie politique», Platon se demande «quel peut être, parmi les différents types de Constitutions qui s’étaient succédé, celle qui pourrait offrir à la Cité le meilleur gouvernement ». Il s’interroge donc sur les conditions idéales auxquelles tout régime politique, quel qu’il soit, doit répondre. «Il ne s’agit pas de rendre compte de ce qui est, c’est-à-dire des régimes tels qu’ils existent, mais de ce qui doit être, c’est-à-dire des régimes tels qu’ils doivent être.» Partant de ce questionnement, le philosophe grec ouvre une brèche qui suscite des interrogations. La démocratie ne doit-elle pas répondre aux réalités sociopolitiques de chaque peuple, pris individuellement ? Ou encore, chaque peuple ne doit-il pas élaborer, de concert et en phase avec ses réalités, ses propres canaux de gouvernance ? La question mérite d’être posée au vu des différentes manifestations de la gestion de la chose politique à travers le monde. Bien avant l’arrivée du colon, les peuples africains vivaient et géraient leur quotidien à travers des rites, des pratiques, des règles qui régissaient la vie en société. Et il n’y avait pas de problème qui ne puisse trouver une solution. Dans le mouvement et l’évolution des civilisations, certaines ont montré qu’elles avaient des pratiques qui n’avaient rien à envier aux élucubrations des politiques d’aujourd’hui. Les civilisations égyptiennes, par exemple, comportaient en elles-mêmes l’une des formes achevées de la gestion de la chose publique. La société était organisée de telle sorte qu’il n’y avait pas de couacs entre les différentes sphères de décisions. Le problème de l’application de la démocratie à «l’occidentale» en Afrique vient du fait que les peuples africains n’ont pas été libres de choisir la forme de gouvernance qui leur convient. Ceux qui l’ont essayé ont été taxés de dictateurs, de tyrans, de despotes. Or, si Platon s’interroge, l’Afrique aussi doit s’interroger. Le mimétisme démocratique n’a apporté que des chamboulements, des crises à répétition, des conflits entre peuples et entre ethnies. Si l’Afrique est le berceau de l’humanité, c’est qu’elle est aussi le berceau des civilisations. Si elle est le berceau des civilisations, elle est aussi le berceau des formes multiples de gouvernance disséminées à travers le monde. Si elle est la mère des formes de gouvernance, c’est qu’elle comporte en elle-même la meilleure forme de gestion du pouvoir «du peuple par le peuple». Il suffit de les expérimenter et d’en choisir la mieux adaptée pour le bien du continent. Charles Baudelaire le disait «le noir est l’uniforme de la démocratie».