Article publié le 2010-03-10 par Par Alexandre KORBEOGO Actualité
Guinée-Conakry enfin le bout du tunnel [02/2010]
Conakry - Palais du Peuple
photo: Soman
Conakry - Vue aérienne
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L’an 2010 s’annonce sous de meilleurs auspices pour la Guinée. Ce pays, au sous-sol riche comme Crésus en matières premières, pourrait enfin voir le bout du tunnel dans sa longue marche vers un régime constitutionnel normal. Un accord de sortie de crise consacrant un intérim du Général Sékouba Konaté et la poursuite de la convalescence de Dadis Camara, un appel au calme de Dadis et surtout la nomination d’un Premier ministre issue des forces vives chargé de conduire la transition prévue pour durer six mois…sont autant de signes d’espoir d’un retour prochain de la Guinée dans le concert des nations démocratiques.

En deux temps, trois mouvements, le médiateur de la crise guinéenne, le Président Blaise Compaoré a changé la donne en Guinée. En effet, alors que la dernière rencontre des protagonistes avec le facilitateur désigné par ses pairs de la CEDEAO(*), le Président du Faso, Blaise Compaoré, avait (et non pas ‘avaient’!) pris fin sans une entente entre les différents acteurs à Ouagadougou, des mauvaises langues suspectaient le chef de l’Etat Burkinabé de connivence avec la junte… ce geste de Toumba Diakité voulant mettre fin aux jours de Moussa Dadis avait été perçu comme un échec de la médiation en Guinée. Du même coup, on pronostiquait le clash entre les membres de la junte. Pour les plus pessimistes, la guerre civile frappait aux portes de la Guinée. Certains ont pris alors le chemin de l’exil volontaire tandis que les pays occidentaux recommandaient fermement à leurs citoyens de quitter Conakry et d’éviter jusqu’à nouvel ordre cette destination. En ce moment, très peu se souciait du commun des Guinéens qui eux ne pouvaient pas s’en aller vers d’autres cieux plus cléments, plus paisibles. Le Général De Gaulle ne pensait pas si bien dire, « les Etats n’ont pas d’amis. Ils n’ont que des intérêts ». Mais, aujourd’hui plus que jamais les derniers développements de la crise en Guinée prouvent qu’il y avait des hommes dans l’ombre qui continuaient dans le secret à se battre pour que la Guinée ne sombre pas dans le chaos. L’arrivée de Dadis Camara, suivie de celles de Sékouba Konaté et des membres de la Junte à Ouagadougou, prouvent tout comme l’accord signé quelques jours plus tard que beaucoup de choses étaient préparées de longue date et qu’il fallait un temps et un lieu pour leur officialisation.Tout le mérite en revient au Président du Faso qui a su ne pas écouter les mauvaises sirènes qui chantaient le requiem de sa médiation dans un pays frère alors qu’il n’avait pas dit son dernier mot.


Saluer le courage de Dadis


Le courage de Dadis Camara que l’on avait trop vite enterré, est à saluer car il a su montrer toute sa sagesse et son affection pour la Guinée en décidant volontairement de poursuivre sa convalescence où il veut, laissant Sékouba Konaté poursuivre l’intérim. Au regard de l’importance de la charge qui nécessite une santé pleine et entière et des enjeux du moment pour la Guinée, Dadis Camara ne pouvait faire meilleur choix. Il montre à la communauté internationale qu’il n’est pas cet assoiffé du pouvoir prêt à enjamber des cadavres de concitoyens pour rester au pouvoir. Par la même occasion, les deux hommes forts démentent, si besoin en était, le supposé froid, pour ne pas dire la banquise de glace qui entourait désormais leurs relations selon une certaine opinion. Mieux, en s’accordant sur les conditions de la transition et en acceptant que les membres de la junte et de la transition ne puissent se présenter à l’élection présidentielle qui aura lieu dans six mois, Sékouba et Dadis s’inscrivent dans la lignée des grandes figures qui ont déjà pris les destinées de leur pays au moment critique et qui se sont retirés au moment du retour à l’ordre normal. Ils offrent ainsi au monde l’image de cette Afrique qui sait jouer à la démocratie et qui pourrait donner aussi des leçons à d’autres. L’appel au calme de Dadis puis la désignation du Premier ministre de transition, Jean Marie Doré prouvent que la junte est décidée à respecter sa parole prononcée lors de sa prise de pouvoir en décembre 2008.



Un choix judicieux

Le choix judicieux de Jean-Marie Doré, leader de l’Union pour le Progrès de la Guinée (UPG) et porte-parole des Forces vives pour conduire la transition, indique également que la junte est à l’écoute du peuple guinéen. Jean-Marie Doré est secondé par deux vice-Premiers ministres : Mme Rabiatou Serah Diallo, proposée par les syndicats, et le général Mamadouba Toto Camara, actuel Ministre de la Sécurité et de la Protection civile et vice-Président du Conseil national pour le développement et la démocratie (CNDD, junte). Ces choix tiennent compte de l’équilibre régional et ethnique de la Guinée composée de Soussous, de Peuhls, de Malinkés et de forestiers, répartis dans les quatre régions du pays. L’attribution des postes de ministres d’Etat du gouvernement devrait être faite suivant le même dosage. Selon les propositions du médiateur Blaise Compaoré, le CNDD dispose de dix portefeuilles ministériels, la société civile dix aussi sur les trente prévus dans le gouvernement de transition. Avec ce gouvernement et le Conseil national de transition (CNT) de cent un membres, qui sera présidé par un religieux, un autre organe de la transition mis en place à la faveur de cet accord, l’on assiste à une mobilisation des Guinéens, sans précédent, pour remettre le pays sur les rails. Le Président du Faso l’a d’ailleurs toujours affirmé avec force, la sortie de crise en Guinée se fera avec tous les Guinéens, sans exclusion. L’an 2010 s’annonce donc sous de meilleurs auspices avec cette élection présidentielle prévue dans un semestre et qui consacrera un renouvellement des institutions du pays. Reste maintenant à la communauté internationale de jouer pleinement son rôle en déliant surtout le cordon de la bourse pour financer le processus. Les Guinéens ne pouvaient rêver de meilleur cadeau de nouvel an.



Qui est Jean-Marie Doré ?

Né en 1938 en Guinée-Forestière, à l’Est du pays, Jean-Marie-Doré a goûté à la politique dès l’âge de quinze ans. Diplômé de droit et inspecteur du travail, il a été fonctionnaire au Bureau international du travail. Docteur en sciences politiques, sa thèse porte sur « l’influence des idéologies européennes dans le développement des pays africains ». Le porte-parole des Forces vives, Jean-Marie Doré a joué le rôle délicat d’interface avec la junte. Il a su notamment maintenir des canaux de communication avec Dadis. « Mon rôle, » confie-t-il, » a été facilité par le fait que je venais de la même région que lui sans pourtant être de la même ethnie. » Le 28 septembre 2009, il a été molesté comme les autres chefs de l’opposition. Selon un opposant, « cette présence d’un homme de la région forestière au sein des Forces vives a empêché la cristallisation de tensions communautaires en Guinée ». Sa désignation comme Premier ministre, poursuit cette source, et devrait calmer les esprits dans sa région d’origine en montrant que, pour les Forces vives, un forestier peut porter le destin de la nation.

(*)CEDEAO:  Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest. C’est un regroupement régional des Etats de l’Afrique de l’Ouest de 16 pays