Article publié le 2010-01-06 par Olivier Rabaey Actualité
Une stratégie francophone pour Copenhague NECTAR : les urgences pour l’Afrique [01/2010]
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(MFI) Une feuille de route pour les Francophones à Copenhague : ainsi peut se définir le projet NECTAR, qui cible les six secteurs clés du développement, envisagés sous l’angle du changement climatique. Elaboré par l’Institut de l’énergie et de l’environnement de la Francophonie (IEPF), NECTAR (acronyme de Négociations Climat pour Toute l’Afrique Réussies) vise à définir des options concrètes et viables pour enrichir les positions des négociateurs francophones dans le cadre de la Conférence mondiale sur les changements climatiques.

A l’origine du projet NECTAR, on trouve le triple constat suivant : d’une part l’actuel régime défini par la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, adoptée en 1992 au Sommet de Rio, et le Protocole de Kyoto adopté en 1997 n’intègrent pas réellement les problématiques spécifiques des pays en développement ; d’autre part, il existe un paradoxe entre l’insuffisante participation des Etats en développement au processus de négociations et leur nécessaire implication dans la lutte contre le changement climatique ; enfin, alors que les pays en développement sont à la fois les plus grandes victimes du changement climatique en raison de leur vulnérabilité (sécheresse, tempêtes tropicales, déforestation.), et par leur difficulté à surmonter les conséquences des catastrophes, ils ne bénéficient pas suffisamment de transferts de technologies, ni des mécanismes financiers et des fonds destinés à l’adaptation au changement climatique. L’IEPF plaide donc en faveur d’une véritable intégration des pays en développement (PED), notamment africains, à la nouvelle négociation. Mais celle-ci dépend aussi de la capacité de ces pays à coordonner leurs efforts, à tenir une position ferme liée à des propositions concrètes.

Diagnostic, priorités d’action, promotion des propositions

Un premier repérage des priorités et des intérêts communs des pays africains francophones a été effectué à l’issue de l’Initiative Climat et Développement de la Francophonie (ICDF) . Sur cette base, un premier rapport a été dressé, lors d’un atelier tenu en 2007 à Paris. Il souligne la nécessité de travailler selon une approche sectorielle. Six secteurs ont donc été définis comme prioritaires et choisis pour faire chacun l’objet d’une étude approfondie : Bâtiment et urbanisme, Agriculture, Eau et assainissement, Énergie, Transports, Forêt . Les avancées des études ont été présentées lors des réunions des organes subsidiaires de la Convention Climat tenue à Bonn en mai 2007. En 2009, six études préliminaires ont été publiées en français et en anglais par l’IEPF, et une étude complète a été réalisée dans le secteur de l’agriculture. Les études approfondies sur les cinq autres secteurs sont en cours de réalisation. Dans chacun des secteurs étudiés la méthode est la même : on dresse un diagnostic visant à cerner les impacts des changements climatiques dans chacun des secteurs, avant de dégager les priorités d’actions concrètes de développement durable à mettre en place, et de passer à la phase de promotion et de suivi des propositions dans le cadre des négociations. Il s’agit, on l’a compris, de faire en sorte que ces priorités puissent être prises en compte dans le régime climat post-2012.

Des études sectorielles articulées autour d’une vision intégrée du développement durable

L’intérêt du projet NECTAR est de penser le développement durable de manière transversale. Nonobstant l’impact du changement climatique sur chacun de ces secteurs en particulier, la plupart des domaines étudiés comme l’agriculture, la forêt, l’eau et l’énergie sont étroitement liés. Par exemple, le phénomène de déforestation qui réduit les capacités de stockage du carbone, et donc favorise l’effet de serre, a de multiples causes. Notamment la nécessité pour les agriculteurs de cultiver de nouvelles terres fertiles, ce qui pose le problème crucial de l’accès à la terre ; la nécessité de se chauffer, qui soulève la question de l’accès aux ressources énergétiques autres que le bois. La déforestation a aussi des conséquences sur l’eau et la recharge des nappes phréatiques en favorisant le ruissellement, et donc l’érosion qui conduit aussi à la dégradation des sols. Lutter contre la déforestation implique donc d’agir tout à la fois sur l’agriculture et sur l’amélioration de l’accès des plus démunis à des sources énergétiques renouvelables.

Cette approche intégrée du développement durable devrait inciter les Francophones à appréhender et à mettre en ouvre simultanément l’ensemble des solutions proposées dans chacun des secteurs étudiés. Pour chacun d’eux, les grandes lignes sont identiques : d’une part, une logique interventionniste et participative qui suppose un fort investissement de l’Etat et une appropriation par les communautés locales ; et d’autre part une logique de coopération, qui impartit à la communauté internationale de mettre à la disposition des pays en développement les moyens humains, techniques et financiers suffisants sans lesquels aucune adaptation des pays les plus démunis aux changements climatiques ne sera possible.



Les six priorités de NECTAR

Eau et assainissement

Du fait du déficit pluviométrique, le nombre d’Africains confronté au stress hydrique pourrait selon les estimations passer de 75 millions à 250 millions en 2025. A l’inverse, les inondations et les crues exceptionnelles contribuent à la pollution des sources d’eau et donc à la recrudescence des maladies liées à l’eau non potable. Plus généralement ces deux phénomènes contribuent à la détérioration des espèces végétales et animales. Les pays doivent en conséquence sécuriser dans leurs politiques publiques l’accès domestique, agricole et industriel à l’eau en incitant à sa récupération et sa réutilisation systématique. Cela implique de créer de nouveaux moyens de stockage d’eau et de procéder à la remise en état des zones frappées de sécheresse, de désertification et d’inondation.

Energie

A l’exception de l’Afrique du Nord, seuls 3 à 35 % des Africains ont en moyenne accès à l’énergie quand le continent africain dispose de 10 % des réserves mondiales de pétrole et de 7,9 % des réserves de gaz. Les difficultés énergétiques africaines appellent une viabilisation des ressources par l’acquisition d’infrastructures durables et sûres et le recours à des énergies renouvelables (hydrauliques et solaires) à faible densité en carbone, mais énergétiquement efficaces afin de limiter l’utilisation excessive de la biomasse.

Transport


L’Afrique ne représente que 5 % du parc mondial de véhicules mais constitue une source croissante d’émission de gaz à effet de serre (GES) du fait de leur vétusté. Un objectif réaliste d’atténuation pourrait être une réduction de 30 % des émissions en dix ans. Il serait rendu possible par la mise en place de stratégies nationales et régionales financées par des aides internationales et des taxes (carburants, axes routiers, etc.) et appuyées par des transferts de technologie sur la rénovation du parc automobile.

Bâtiment

Près de 80 % de la consommation d’énergie et des émissions de GES sont le fait des bâtiments à usage d’habitation et du secteur tertiaire. Sans compter l’habitat informel qui se généralise, la réflexion africaine sur l’éco-performance des bâtiments est encore embryonnaire et trop souvent calquée sur des modèles européens inadaptés aux conditions locales. Le secteur devra inciter à un engagement institutionnel, technique (opérations pilotes, recherche régionale) et financier de tous les acteurs de la filière bâtiment, privés comme publics. Ceci dans le cadre de programmes de grande ampleur visant l’amélioration des bâtiments existants et l’exemplarité des constructions neuves (notamment publiques), pour des économies d’énergie allant jusqu’à 30%.

Forêt


L’Afrique est l’un des poumons de la planète, puisque son territoire abrite 17 % des forêts et 25 % des forêts tropicales du monde. Près de 5 millions d’hectares sont détruits chaque année, en raison d’une exploitation commerciale excessive et non viable et d’un important usage domestique (les 2/3 sont utilisés comme bois de chauffage). Le secteur doit s’adapter au changement climatique en appliquant des pratiques de gestion réduisant la vulnérabilité des forêts et garantissant une surface de captage de CO2 minimum.

Agriculture

A 95 % dépendante de la pluviométrie, l’agriculture africaine est dangereusement exposée aux changements climatiques qui menacent la sécurité alimentaire des populations africaines, qui aux deux tiers dépendent directement de l’agriculture et de la foresterie. C’est pourquoi le volet agriculture occupe une place centrale dans le projet NECTAR.

L’avertissement émane de Jean-Pascal Van Ypersele, vice-président du GIEC : « Dans les régions tropicales et subtropicales arides et subhumides (en particulier en Afrique) où les cultures sont déjà proches de leur seuil de tolérance à la chaleur et à la sécheresse, l’augmentation des températures et la réduction des précipitations risque de réduire et de faire chuter le rendement moyen, déjà bas, des exploitations agricoles. En particulier les petites exploitations familiales qui n’ont pas les moyens d’investir dans de coûteux systèmes d’irrigation ». De son côté, dans un rapport paru en septembre 2009, l’International Food Policy Research Institute (IFPRI), basé à Washington, montre que l’adaptation aux changements climatiques et la sécurité alimentaire sont deux problématiques étroitement liées : « Toute activité consistant à adapter l’agriculture aux défis du réchauffement climatique peut améliorer la sécurité alimentaire. Inversement, toutes actions en faveur de la sécurité alimentaire des petits producteurs leur permettant d’accroître leurs revenus les aideront à s’adapter au changement climatique ». Partageant un tel constat, les Francophones plaident pour que la question agricole soit un point central des négociations sur le changement climatique.



Des « responsabilités communes mais différenciées »


Les changements climatiques menacent l’humanité entière, mais « à la différence des entreprises et consommateurs des pays industrialisés et émergents, la priorité pour la petite agriculture du Sud n’est pas d’adopter des moyens de production moins polluants, tant sa part dans les émissions globales passées et présentes est réduite », signale le sociologue François Polet, du Centre Tricontinental de Louvain-la-Neuve en Belgique. Aussi doit-on s’interroger sur la solution des « mécanismes de développement propre » dont se félicite la communauté internationale, alors que cette solution ne vise pas tant à préparer les pays pauvres au défi du réchauffement climatique « qu’à offrir un degré de flexibilité aux pays développés essayant d’atteindre leurs objectifs de réduction d’émission de CO2. » En revanche, pour les millions de paysans confrontés à la diminution de la pluviométrie, il s’agit « d’adopter des techniques agricoles permettant de produire autant sinon plus, dans des conditions difficiles, en améliorant la capacité des sols à retenir l’eau, en opérant un travail de sélection des semences et des espèces animales moins gourmande en eau».

Les changements climatiques risquent d’affecter substantiellement les rendements agricoles en Afrique subsaharienne : diminution de 15 % pour le riz, 34 % pour le blé et 10 % pour le maïs, selon les projections de l’IFPRI. Pour faire face à cette situation, la plupart des experts appellent à un accroissement de la production et donc des investissements publics dans la recherche, les infrastructures, l’irrigation. L’IFPRI évalue à 7 milliards de dollars par an le coût d’une telle adaptation, indiquant que la priorité doit être donnée à l’Afrique sub-saharienne - 40% du total -, et notamment à l’investissement dans les infrastructures routières. Dans le même sens, dans l’étude sectorielle sur l’agriculture du projet NECTAR , Mamadou Khouma et Yacine Badiane Ndour (de l’Institut sénégalais de recherches agricoles, l’ISRA) concluent que « les négociateurs africains doivent insister sur la nécessité d’avoir un fonds spécial pour l’agriculture et les forêts dont les procédures d’accès seraient simples. Ils doivent aussi insister sur l’accès aux technologies générées en dehors de l’Afrique et directement applicables à faible coût ».

Des modèles d’agriculture en concurrence

Si les experts et les politiques s’accordent sur la nécessité d’accroître les investissements dans l’agriculture, « la question fondamentale qui se pose est de savoir à qui ces investissements vont profiter et pour quels usages », souligne le professeur François Collart Dutilleul, l’un des spécialistes européens du droit agroalimentaire. Deux modèles s’affrontent : le premier prône une vision productiviste et libre-échangiste qui encourage une agriculture de rente de type agro-exportatrice favorable aux multinationales. Le second est centré sur la souveraineté alimentaire et promeut une agriculture familiale de type vivrière respectueuse de l’environnement. Force est de constater que le volet agriculture du projet NECTAR reste relativement silencieux sur cette épineuse question qui divise les Etats. Mais il s’agit seulement d’une étude préliminaire de NECTAR sur l’agriculture. L’étude approfondie sera disponible prochainement. Toutefois, les chercheurs de l’ISRA précisent qu’« en Afrique sub-saharienne, la priorité doit être donnée à des actions alliant agriculture de conservation et agro-foresterie pour augmenter le stockage du carbone, protéger la biodiversité, assurer la subsistance des populations et enrayer la désertification ». Un premier pas ?

Face au bilan négatif du Sommet mondial sur la sécurité alimentaire (16-18 novembre 2009), le défi des Francophones pourrait consister à faire des négociations climatiques une véritable opportunité de développement pour les paysans africains. Comme le souligne l’étude sectorielle, « l’élargissement du marché du carbone à la protection des forêts et à l’agriculture pourrait offrir de nouvelles incitations aux petits producteurs tout en leur permettant de participer à l’effort mondial de réduction des émissions des gaz à effet de serre, principal moteur des changements climatiques ».