Article publié le 2008-11-09 par Cyrille Momote Kabange Actualité
Qu’est-ce qu’il se passe au Kivu ? [11/2008]

Depuis plusieurs jours, les armes crépitent de nouveau à l’est de la République Démocratique du Congo, précisément dans le périmètre entre la zone de Masisi et Goma, le chef-lieu de la province du Nord-Kivu. La guerre revient dans cette région martyrisée où des millions de personnes sont mortes ou blessées à vie sans compter des centaines de milliers d’autres qui ont vu leur existence bouleversée à cause des déplacements fréquents qui les condamnent au dénuement total, à la maladie et finalement à la mort.


Face à cette grave crise humanitaire, la communauté internationale a réagi, en utilisant les moyens à sa disposition qui ne sont pas excessifs à la différence des milliards de dollars mis en contribution pour sauver les banques en faillite, mais qui ont tout de même pu faire illusion à un certain moment. C’est ainsi que des élections ont été organisées en 2006 - 2007, dotant ce pays d’institutions telles que le Parlement (Sénat et Chambre des députés), les assemblées provinciales, le tout régi par une constitution adoptée au suffrage universel direct en 2006 et un leadership légitimé par les urnes. L’Occident industrialisé a dû débourser plus de 500 millions d’euros pour la réalisation de ce scrutin historique. Et pour sécuriser la jeune démocratie, l’ONU a mis sur pied l’opération d’envoi des casques bleus sur le terrain, la plus chère de l’histoire des Etats du Tiers- Monde (un milliard d’euros par an).


Ce déferlement de bons sentiments donne aujourd’hui hélas ! l’image de la montagne qui a accouché d’une souris. Ce qui aurait pu forger un précédent exemplaire se dissout, à moins d’un sursaut d’énergie de la communauté internationale, en un tragique naufrage. Les raisons sont faciles à trouver. Au Nord-Est de la R.D.C., elles tiennent à l’écheveau des intérêts économiques des groupes présents en R.D.C. et à la géopolitique particulière de toute la région des Grands Lacs habitée par 16.000.000 de personnes dans laquelle cohabitent des ethnies de souches et aires culturelles différentes. Les positions géostratégiques des puissances (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France et Belgique) y ajoutent leur graine de sel en termes de jeu d’influence diverses par chefs d’Etats de la sous-région interposés.


Comment sortir de la crise ?


Plusieurs scénarios de sortie de crise ont été tentés. Déjà la guerre inter-régionale mettant aux prises les Etats ougandais, congolais, zimbabwéen, tanzanien et angolais avaient donné lieu à plusieurs actions internationales de pacification. Par la suite, les méfaits des milices armées dont la plupart s’alimentaient à la sauce des conflits dits ethniques mais en réalité encadrés par le Rwanda et l’Ouganda qui y exerçaient une présence discrète commandées par les circonstances, ont appelé l’intervention de l’Euro-force et de la France (Opération Artémis).


Plus récemment, la constitution de la Monuc dont l’essentiel des effectifs a été envoyé au Kivu, devait jouer un rôle stabilisateur dans la région.


Le dernier scénario en date est celui de la conférence de Goma au mois de mars de cette année. Ces dernières assises qui ont abouti à la signature d’une Charte garantissant la paix entre la minorité tutsie représentée par la C.N.D.P. de Nkunda, les groupes armés à connotation plus ou moins ethnique et le gouvernement de Kinshasa, a fait naître un certain espoir. Les événements actuels jettent plutôt une lumière crue dans le jeu machiavélique des protagonistes de la tragédie qui exploitent habilement les faiblesses en effectifs militaires insuffisants, psychologiquement diminués par l’incurie des chefs civils et militaires, la «naïveté» stratégique d’un gouvernement qui feint d’ignorer les règles de base de la diplomatie : 1) on ne négocie qu’en position de force; 2) la guerre se prépare si l’on veut gagner la paix; 3) qu’il faut savoir repérer ses vrais amis (Mon Dieu, épargnez-moi de mes amis, quant à mes ennemis, je m’en charge - Tayllerand).


Il est probable que les avancées de Nkunda dans cette région considérée comme base pour la déstabilisation du reste du Congo satisfont les commanditaires majoritairement situés à l’extérieur de la R.D.C., même si ces derniers s’en défendent à l’instar du Président Kagame aussi bien que des responsables de la mouvance à laquelle il appartient désormais (anglophone). La Secrétaire adjoint aux Affaires Etrangères des Etats-Unis ne déclarait-elle pas l’autre soir sur France 24, que «bien sûr l’aide aux rebelles pourrait bien venir de l’autre côté de la frontière rendue poreuse et propice à toutes sortes de trafics illicites» ? Reconnaissance implicite sans doute de l’utilisation du territoire rwandais par Nkunda : cela sous-tend en l’occurrence que le Rwanda n’est pas totalement étranger à ce qui se passe chez son voisin.


Les tutsi sont-ils réellement victimes de leur compatriotes congolais ?


De toute manière, peu importe que les démentis fusent au sujet d’une vérité que personne ne cerne vraiment, il reste que Nkunda, qui développe à longueur des journées l’argumentaire du tutsi victime de ses compatriotes congolais du Kivu, jouant sur la corde sensible du renouvellement de l’horreur de 1994, au Rwanda autant que M. Kagame, ne joue-t-il pas avec le feu ? Gare à celui qui ouvre la boîte de Pandore ! Colette Braeckman du «Soir» n’est pas loin de cette appréciation lorsqu’elle écrit en conclusion de son éditorial dans la livraison du 30 octobre 2008 : «... le redressement, qui n’est pas assez soutenu par l’aide internationale, est trop lent pour répondre aux espérances et aux besoins. Sur ce fond de mécontentement latent, la colère suscitée par les événements de Goma pourrait faire exploser le chaudron social et contribuer à la stratégie de la déstabilisation. La rancoeur populaire visera peut-être le pouvoir en place, et elle réussira peut-être à l’ébranler sinon pire. Mais elle fera d’autres victimes encore, à court et à long terme. Laurent Nkunda, ses compagnons de bataille et ses protecteurs rwandais assurent qu’ils se battent pour défendre les Tutsis congolais, une minorité qu’ils disent menacée, alors que des efforts notoires ont été déployés pour leur faire place dans les institutions et effacer le souvenir des années de guerre.


En réalité, les rebelles, des militaires en rupture de ban, des tuteurs recherchés par la justice internationale, des «soldats sans frontières », risquent de provoquer ce qu’ils prétendent vouloir éviter : une rancoeur durable à l’égard des Tutsis congolais pris comme prétexte à leurs aventures guerrières».