Article publié le 2012-11-11 par Par Alexandre Korbéogo Dossier
Mode Africaine / Stylistes africains - Portrait de quelques créateurs [11/2012]
Défilé Collé Ardo Sow © afrikavision

Depuis les indépendances, des créateurs africains ont inspiré la mode sur le continent et sur le plan international. Leurs œuvres s’achètent bon gré mal gré sur le marché mondial malgré la rude concurrence orchestrée par les produits chinois. Découverte de quelques grands noms de la mode africaine.

Les stylistes, les modélistes, les créateurs africains ont marqué d’une pierre blanche la mode africaine et, partant, mondiale. Que ce soit Pathé’O, Bazemsé, Gilles Touré, Alphadi, Angy Bell, Colle Ardo Sow, ils ont par leur génie fait bouger les choses du côté de la mode sur tous les plans.

Pathé’O, un créateur hors pair

Depuis 40 ans, il roule sa bosse dans les prétoires de la mode africaine et internationale. Pathé’O, le créateur ivoiro-burkinabè, est mondialement reconnu pour sa griffe et ses modèles portés par les plus hautes personnalités mondiales. De son entrée dans le métier de la couture à aujourd’hui, Pathé’O n’a cessé d’émerveiller par ses créations. C’est en 1969 qu’il commence son apprentissage à Treichville en Côte d’Ivoire. 10 ans après, il s’installe à son propre compte. En 1987 lors du concours Ciseaux d’or d’Uniwax, il est découvert par le grand public. Il sort vainqueur de cette compétition qui réunissait tout le gotha des créateurs africains à Abidjan. C’est le début de l’implantation d’une grande maison de couture en Afrique. Au début des années 1990, il ouvre sa première boutique 100% création africaine à Yamoussoukro, la capitale politique de la Côte d’Ivoire. La marque Pathé’O est de nos jours représentée dans plusieurs capitales africaines et quelques villes occidentales comme Paris, Point-à-Pitre, Québec. Ce qui va cependant marquer l’opinion, c’est qu’après la libération de Nelson Mandela et son élection à la présidence de la République sud-africaine, il est reçu à Londres dans une chemise Pathé’O. La légende vivante Madiba fait disparaître le complexe des célébrités africaines à porter des tenues made in Africa.

Alphadi, le prince du désert

Grand couturier devant l’éternel, Alphadi est le créateur du festival international de la mode africaine (FIMA). Surnommé le "prince du désert", Alphadi est issu d'une famille touareg du Niger. Né à Tombouctou au Mali, il aiguise son goût pour le vêtement et la parure en observant la coquetterie des femmes de sa famille. Il entre dans l'atelier de stylisme Chardon Savard à Paris, et court les défilés des grands couturiers parisiens. Il se lance à son tour et défile à Paris pour la première fois en 1985, puis ouvre sa boutique à Niamey, au Niger. D'autres boutiques suivront, en Afrique comme aux États-Unis et en France. Bijoux, parfum (l'Aïr), maroquinerie, Alphadi décline son inspiration africaine, nourrie par la diversité ethnique du continent et de ses traditions vestimentaires. Ce succès le fait réfléchir sur le potentiel de la mode et des arts africains dans l'économie africaine. C'est ainsi qu'il lance le Festival international de la mode africaine, le FIMA, en 1998, et le fait connaître partout en Afrique avec la "Caravane Alphadi", un défilé itinérant. Au fil du temps, l'événement accroît sa crédibilité et attire davantage de sponsors africains ou européens. Dix ans plus tard, le FIMA envisage, tout en restant à Niamey, ville chère au cœur d'Alphadi, de se prolonger à Paris à l'occasion d'un défilé de créateurs africains.

Gilles Touré, un féru de la haute couture

Gilles Touré a vu le jour le 04 octobre 1973 à Abidjan. Son amour pour les métiers de la mode débute certainement à la naissance. Tel un conte de fées. Au lycée, il habillait déjà ses professeurs. En pleine adolescence, il manifeste auprès des ses parents son désir de devenir styliste modéliste. Prévoyants et sages, ses parents lui opposent un doux refus. De fait, ils conditionnent leur acceptation, ce d’autant plus qu’il est leur fils aîné. Il faut qu’il obtienne d’abord un diplôme universitaire, lui conseillent-ils. Après le baccalauréat, il entre à la faculté des sciences économiques où, trois années plus tard, il décroche une licence. Libéré dès lors de sa promesse, il s’inscrit à Paris dans une école internationale de stylisme modélisme. Il en sort major de sa promotion. Il bénéficie ensuite d’un stage chez Paco Rabane. L’envol de sa carrière remonte à son premier grand défilé "turbulence". Une collection réalisée pour Uniwax à la chambre des métiers de Yamoussoukro. Il est ainsi entré dans la cour des grands et sa renommée ne cesse de croître. Il crée "féerie" qui rencontre un franc succès à chaque édition. Il devient la coqueluche de nombreuses femmes en Côte d’ Ivoire comme à l’étranger. Son parcours est nourri de succès. Gilles Touré a été honoré par un kora Fashion. En 1999, il était sacré meilleur créateur de mode. Il a été élevé au rang de chevalier du mérite national.

Collé Ardo Sow, la reine du pagne tissé

Symbole du patrimoine culturel africain, Colle Sow Ardo mène de front vie professionnelle et vie familiale. Elle fut mannequin, puis élève à l’Institut de Coupe et de Haute Couture de Paris ou elle obtint son diplôme en 1979. En 1983, elle organise son premier défilé où elle assure toute la chaîne de production du design au patronage, moulage, montage, la coupe, la couture, jusqu’aux finitions. A défaut de mannequin à cette époque, elle présenta elle-même sa collection en tant que mannequin professionnel. Cette première présentation marquera un réel tournant pour la styliste. Le modèle en pagne tissé, le seul sur la douzaine de tenues présentées, remportera le plus de succès, et deviendra, au fil des années, la signature de Collé Sow Ardo. C’est ainsi que Collé Sow Ardo crée son label en 1983 à Dakar. Elle devient ensuite membre fondatrice et vice-présidente de la fédération des créateurs africains. On la surnomme alors «la reine du pagne tissé». Parmi ses plus grandes innovations, on peut citer le travail minutieux effectué sur le pagne tissé qui est fait à la main par des tisserands sénégalais, ce qui lui confère un style classique. Dans une société africaine ou la profession de l’individu indique bien souvent aussi sa fonction et ses origines sociales, le pagne tissé de Collé Sow Ardo est une page d’histoire. Une page dont la texture et la teinture uniques racontent l’histoire méconnue des métiers traditionnels africains. Petits métiers qui, depuis le champ de coton jusqu’à la teinturière en passant par la panoplie du tisserand, entretiennent avec l’environnement et le milieu naturel une relation respectueuse et harmonieuse.

Le pagne tissé, un plaidoyer

Plus qu’une ode, le pagne tissé est un plaidoyer pour la promotion et la revalorisation de petits métiers qui, au delà de leur dimension culturelle, revendiquent un art ancestral et talent intemporel. En choisissant d’habiller le 3e millénaire du pagne tissé, Collé Sow ARDO invite simplement le savoir faire du terroir et la tradition au banquet de la haute couture universelle. A coups de talent et de persévérance dans le travail, «la Princesse Peuhl» a fini par séduire le monde après avoir triomphé sur les plus prestigieux podiums du monde, mêlant élégance et modernisme, ce qui fait l’originalité de sa création.

Pour donner corps à sa Vision futuriste et signifier au monde que la mode est universelle, elle porte dans son cœur un credo empreint de générosité et d’ambition : il n’y a pas de modes africaine et européenne, il n’y a que des tendances, des sensibilités différentes.

Bazem’sé, la détermination

Derrière le tempérament calme de Sébastien Bazemo, alias BAZEM’SE, se cache une tenace et noble détermination : celle de mettre son art, son métier de styliste-modéliste, au service des plus démunis de son pays d’origine, le Burkina Faso, où il vit depuis 2004, après un début prometteur au bord de la Lagune Ebrié. C’est en Côte d’Ivoire que Sébastien Bazemo, plus connu aujourd’hui sous le nom de BAZEM’SE, se lance, il y a un peu plus de dix ans, dans le stylisme et la mode. Très vite l’Ivoirien retrouve ses marques. Et en 2000, BAZEM’SE obtient le prix YEHE (Aiguille d’Or) à Abidjan. Mais, en 2004, il décide de s’installer à Ouagadougou, au Burkina, son pays d’origine. Dès lors, BAZEM’SE participe aux différentes manifestations culturelles, artistiques, et de mode organisées dans la capitale burkinabè. Entre autres manifs, l’on peut citer : 19e et 20e éditions du FESPACO, 9e édition du SIAO, 1re et 2e éditions CARROUSEL de la MODE, 1re édition de IMAGE FASHION SHOW. A travers ces différents événements, le styliste modéliste s’est déjà fait un nom sur le plan national et songe de plus en plus à l’international. En 2007, BAZEM’SE va obtenir le premier prix au concours des jeunes stylistes à la 3e édition d’Afric-collection à Douala, au Cameroun. C’est la consécration pour lui. Désormais, le jeune styliste burkinabè a une renommée internationale, et sera même habilleur du «Concours TOP MODEL» lors du FIMA 2007 à Niamey au Niger. Mais cette réussite professionnelle ne fait pas perdre à BAZEM’SE, issu d’une famille modeste, le sens des réalités africaines. Ainsi va germer en lui l’idée d’utiliser son métier pour rendre service, venir en aide aux personnes défavorisées. C’est «Folie de Mode», événement de mode et de bienfaisance, qui voit alors le jour. Nous sommes en 2007, année de la première édition de la manifestation. Au fil du temps, le petit événement à caractère social (les fonds récoltés pendant le défilé sont offerts à des couches démunies) a pris du galon si bien qu’il a pris à la dernière édition tenue les 8 et 9 octobre derniers une envergure internationale. En effet, 4 grands stylistes africains y participent. Il s’agit de Rialto Fashion du Kenya, de Elima du Togo, de Anderson D de la Côte d’Ivoire, et de Diambou Counda Style du Sénégal. A l’arrivée, ce sont des dons d’une valeur de 350 000 F CFA et une enveloppe de 316 000 F CFA qui sont offerts à un orphelinat de Loumbila. Certes les moyens n’ont pas toujours suivi l’élan de cœur du styliste. Mais à force de persévérance, BAZEM’SE a réussi à rallier à son noble combat des personnalités, et non des moindres. Pour BAZEM’SE, il n’y a pas de mode si elle ne descend pas dans la rue. Il faut, dans son entendement, que les fonds récoltés pendant les défilés profitent aussi aux personnes défavorisées. Mais le styliste modéliste ne cherche-t-il pas à utiliser le filon de charité pour s’enrichir, comme l’on en voit souvent sous nos cieux ? «Pas du tout», rassure BAZEM’SE.