Article publié le 2011-07-24 par Par Jamil Thiam Société
L’AFRIQUE ET SES MILLIERS DE « VOLEURS » DE SEXE, TUES OU BLESSES - Croyances mystérieuses [07/2011]
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En Afrique, selon des croyances très répandues, il existerait des individus « voleurs ou rétrécisseurs » de sexe. Ces folles rumeurs rapportées par la presse et brandies par les populations, ont entrainé le lynchage et la mort de milliers d’innocents. Vrai ou faux ? Le mystère demeure toujours.

Née en Afrique centrale, la psychose des « voleurs » et « rétrécisseurs » de sexe a vite gagné l’Afrique de l’ouest, au Sénégal, après avoir fait des ravages au Benin, au Ghana, au Nigéria et en Côte d'Ivoire, où plusieurs suspects, souvent des étrangers, avaient été lynchés par la foule. Cette folle rumeur, porteuse de tous les dangers, avait disparu avant de réapparaitre au début des années 90. Selon celle-ci, des magiciens ont le pouvoir, par une simple poignée de main, de faire disparaître le sexe d’un homme ou les seins des femmes. Et pourtant, à la suite de constatations effectuées par les forces de police, leurs attributs avaient, dans chacun des cas, été retrouvés intacts. Selon nos sources, le premier cas de vol de sexe remonterait aux années 70, au Nigeria. Par la suite, des milliers d’individus soupçonnés d'être des « voleurs » ou des « rétrécisseurs » de sexe ont été sous le coup de la vindicte populaire, lynchés puis assassinés. En vérité, ces croyances, fausses ou vraies, sont assimilées à la sorcellerie. Une rumeur qui a créé une panique et a causé la mort de plusieurs innocents, au Nigéria, au Gabon, au Congo, au Mali, au Sénégal, en Gambie, au Benin, en Mauritanie, au Niger, au Cameroun, au Ghana et en Côte d'Ivoire etc… En deux décennies, cette rumeur meurtrière a fait près de cinq cents morts, plus de quatre mille blessés, victimes expiatoires d’une vendetta aveugle.

Au Bénin, des présumés « voleurs » de sexe brulés vifs !

Dans ce pays, à forte croyance vaudou, cinq « voleurs de sexe » ont été brûlés vifs en 2008, accusés d’avoir fait disparaître le sexe de leurs interlocuteurs. Il s’agissait de quatre Nigérians et un Congolais, traqués puis tués par des conducteurs de taxi de Cotonou. A l’époque, le ministre de l’Intérieur avait réagi pour tenter, en vain, d’endiguer les dérives. A l’origine, des passants ont accusé les victimes d'avoir fait disparaître leur sexe après les avoir frôlés. L'alerte donnée, une foule surexcitée se lance à l'assaut des suspects, à coups de gourdins, de bâtons, de machettes. Ces différents assauts ont provoqué la mort plusieurs innocents sur le sol Béninois. C’est le cas d’un électronicien, accusé d'avoir fait disparaître le sexe d'un apprenti menuisier. Avec plus de chance, il a réussi à déjouer ses assaillants malgré un coup de marteau à la tête, des jets de pierres et un corps enduit d'essence prêt au feu. Il faut noter qu’au Bénin, la poignée de main fût longtemps un geste risqué à cause de la rumeur criminelle. Tout le long de la côte ouest-africaine, elle fût récurrente et a fini par traverser allégrement les frontières. Fréquemment, ce sont les immigrés d'autres pays africains qui en font les frais.

Gabon, Monsieur a rétréci mon sexe !

A Port-Gentil, le phénomène demeure aussi problématique, avec une réelle psychose au début des années 2000 où un libérien avait été lynché à mort par la foule qui l’accusait de vol du sexe d’un homme. La capitale Libreville fut également touchée ces dernières années. Plusieurs cas de disparition de sexe ont été signalés. C’est le cas d’un jeune, qui, après avoir frôlé au passage un inconnu, aurait senti une énergie inhabituelle traverser son corps. « Au niveau du bassin, je ne ressentais plus la présence de mon sexe. C'est un monsieur que je ne connaissais pas qui a rétréci mon sexe, après m'avoir demandé l'heure " racontait-il. Et pourtant, les présumées victimes parviennent toujours à retrouver leur virilité. C’est pourquoi, le phénomène aurait pu faire rire, s'il n'y avait de telles conséquences sanglantes. Le dernier cas date de 2010 à Port-Gentil où un « voleur » a échappé de peu au lynchage du fait d’un homme qui l’avait accusé d’avoir rétréci son organe après lui avoir serré la main. Si les hommes de science réfutent ces histoires, la conscience populaire soutient le contraire et pense que c’est un phénomène mystique et magique bien réel, de haute portée spirituelle.

Au Congo, une femme brulée vive !

L’affaire des « voleurs » de sexe a aussi alimenté les inquiétudes à Pointe Noire pendant plusieurs années. Ici, la rue, outre les hommes, accuse plus les femmes d'origine étrangère voir nigériane de voler les sexes. Ainsi, dans les années 2000, il y a eu une vague meurtrière, qualifiée à l’époque de vague de racisme, sur les ressortissants nigériens. Une femme d'origine nigériane, mariée à un congolais et mère de 4 enfants, vivant dans ce pays depuis longtemps, avait été sauvagement tuée, brûlée vive par une foule surexcitée. Ses tueurs l'accusaient d'avoir fait disparaître le sexe d'un jeune homme. A l’époque, ce dernier avait expliqué, alors qu'il marchait,que son corps a effleuré celle de la nigériane. C'est alors qu'il aurait senti une sensation étrange. Aussitôt, il crie que son sexe a disparu. La foule se rue sur la pauvre femme, la frappe et la brûle vivante. De même, un congolais de Kinshasa d'une trentaine d'années, accusé d'avoir fait disparaître le sexe d'un adolescent de 15 ans, a eu plus de chance. Il a eu le reflexe de prendre les jambes à son coup pour se réfugier dans une école. Toutefois, dans tous les pays, les mis en cause sont régulièrement les ressortissants des autres pays africains. Très souvent, ces étrangers n'ont qu'un tort, celui de travailler dur pour gagner leur vie.

Au Sénégal : une femme aussi perd son sexe

Dans ce pays, plusieurs personnes ont été lynchées à tort après des accusations erronées de vol et de rétrécissement de sexe. Dans une ville religieuse, pourtant très spirituelle, appelée Touba, un homme a été lynché à mort par la foule après que deux jeunes l’ont accusé d’avoir dérobé leurs organes génitaux suite à une poignée de main. Et pourtant, après vérifications, leurs attributs sexuels n’avaient subi aucun dommage. A Dakar, une femme ayant étrangement « perdu » son sexe, s’était présentée, accompagnée par la foule à la gendarmerie pour dénoncer un voleur. Mais, la policière chargée de vérifier ses dires, a ainsi constaté que rien ne manquait. Un scénario presque identique dans nombreux cas. A la Medina, en pleine capitale sénégalaise, un présumé « voleur » de sexe a échappé au lynchage. Après cet échange "protocolaire", il a prétendu avoir remarqué que « son sexe » s’est rétréci sous son pantalon. C’est ainsi qu’il a ameuté tout le quartier pour venir à son secours. Le « voleur » de sexe, vite maitrisé, a été lynché par la foule avant d’être acheminé au poste de police de la localité. Au Sénégal, le dernier cas date du 06 juin 2011 au quartier résidentiel de Point E de Dakar. Un citoyen est indexé par un élève de 3ème qui aurait constaté la disparition de son sexe après lui avoir serré la main. Informés, ses camarades de classe se sont rués sur le mis en cause pour lui faire la peau. Acculé par les élèves, le présumé « rétrécisseur » de sexe brandit un coupe-coupe pour se défendre. Mais, un policier est vite intervenu. Plus tard, l’élève expliquera devant le commissaire qu’il avait bien repris son sexe.




Quand la justice sénégalaise s’en mêle !

En 2007, le tribunal régional de Ziguinchor avait prononcé une condamnation à l’encontre d’un des deux « voleurs » de sexe, arrêtés pour avoir rétréci les sexes de onze jeunes. Le tribunal, dans son délibéré, avait condamné M. Diallo, un des accusés à 6 mois de prison ferme avant de relaxer le second I.Badiane au bénéfice du doute. Et malgré l’insistance du président du tribunal, les prévenus nieront les faits qui leur sont reprochés. Pourtant, le ministère public avait soutenu que « l’Afrique a ses réalités et ses mystères, le phénomène de retrécisseurs de sexe existe bel et bien » avait-il dit. Paradoxalement, en 2007, le tribunal départemental de Mbour, avait condamné deux sénégalais à 2 mois de prison ferme et à payer 163 000 fcfa de dommages et intérêts à un Ghanéen qu’ils avaient dénoncé à tort. Quatre autres Sénégalais avaient été déférés au parquet pour avoir causé le tabassage de quatre Nigérians. Ils étaient tous dans l’impossibilité de prouver les pratiques de sorcellerie des mis en cause.

Nombreux pays touchés par le phénomène

Si les voleurs de sexe sont toujours des inconnus, ce sont souvent des étrangers dans les pays où ils sont accusés. En effet, dans le continent, pour l’histoire des « voleurs » de sexe, l’étranger a été le prototype du faiseur de mal. Des voleurs présumés furent lynchés et tués à tort. Cette vague meurtrière s’est vite propagée par vagues successives au fil des années en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. En début 1996, la rumeur est au Nigeria, et en octobre de la même année au Cameroun. Elle se répand alors vers l’ouest pour atteindre le Togo en décembre, le Ghana en janvier 1997, la Côte d’Ivoire en mars, le Burkina-Faso en mai, le Mali en avril-mai, le Sénégal en juillet et finalement la Mauritanie en août. Au moins 17 pays ont été touchés par cette barbarie : Nigeria, Cameroun, Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire, Soudan, Tchad, Niger, Mali, Burkina Faso, Sénégal, Gambie, Mauritanie, Gabon, Congo, RDC, selon l’étude réalisée par le français Julien Bonhomme, Les Voleurs de sexe. Anthropologie d’une rumeur africaine, parue aux éditions Seuil en 2009.